Les Entreprises du Voyage ont organisé mardi une grande conférence avec leurs adhérents pour parler plus longuement de la crise sanitaire, de son impact sur les acteurs du secteur et sur le tourisme du futur. Résumé.
« Personne ne s'attendait à cette crise qui a touché le monde entier quasiment en même temps. Une crise qui va certainement changer les habitudes des voyageurs, des consommateurs ». Ce constat, fait par Jean-Pierre Mas, président des Entreprises du Voyage, a poussé le syndicat à organiser mardi matin une grande conférence sur les perspectives du secteur pour les mois prochains et pour esquisser des pistes pour un tourisme différent demain. Un futur dont les adhérents sont nombreux à en voir déjà quelques prémisses. Des tendances qui laissent présager d'une reprise sur le long terme, mais non sans difficultés.
Réservations de l'été et perspectives automne/hiver : des signes de reprise ?
Les effets du confinement à l'échelle mondiale - et par conséquent de l'arrêt quasi-total des activités pour de nombreuses entreprises du tourisme - sont nombreux. Notamment dans l'aérien, avec une baisse prévue au niveau mondial de - 45 à - 62% sur le nombre total de passagers en 2020. « Une chute brutale, une crise jamais connue », selon Sébastien Guyot, directeur des Ventes Entreprises et Agences France chez Air France.
Si la situation tend à l'amélioration, elle reste pourtant encore loin des attentes. « Sur la partie loisirs, la reprise est timide. Dès qu'il y a une communication claire sur l'ouverture d'un pays proche, sans risque, les réservations se développent. Mais sur la partie corporate, il y a encore d'énormes incertitudes. Près d'un quart des sociétés sondées déclarent ne pas savoir quand elles vont reprendre les voyages », explique-t-il.
Un constat similaire à celui fait en agences. « Aujourd'hui, on est à plus ou moins 20% du CA que l'on avait l'année dernière à la même époque. Un tiers des commandes sont des reports et deux tiers des nouvelles demandes. L'offre est très instable. La difficulté que l'on rencontre dans un réseau comme le nôtre, qui vend beaucoup de destinations différentes, est qu'il est extrêmement difficile de trouver ce qui est viable ou non viable sur le court terme, avec par exemple des vols encore annulés sur l'été », commente de son côté Christophe Jacquet, directeur général de Havas Voyages.
Les perspectives économiques pour les mois à venir ne sont pas beaucoup plus encourageantes. « On s'attend à avoir enregistré 40% de l'activité de l'année 2019 sur la fin de l'année 2020 et 60% de l'activité en 2021, toujours par rapport à 2019. Nous aurons seulement un retour sur les résultats équivalents à ceux de l'année dernière en 2022 », estime Nicolas Brumelot, cofondateur de MisterFly.
Reste que l'annonce du déconfinement il y a un peu plus d'un mois et l'ouverture progressive des frontières incitent un peu plus les voyageurs à envisager de nouveaux séjours dans les mois à venir. Sans grande surprise, principalement sur la France et l'Europe. « Nous avons enregistré + 110% de croissance sur la France par rapport à l'année dernière. La demande est très forte. Sur le moyen-courrier, il y a un frémissement observé depuis une dizaine de jours, principalement sur l'Espagne ou le Portugal », rapporte Nicolas Liogier, directeur général adjoint de Veepee Voyage.
De quoi rendre optimiste les professionnels du secteur, qui s'activent pour une reprise plus importante du tourisme. « Ce qui est très encouragent, c'est que nos clients ont très envie de voyager. La demande se remet en marche, même si elle n'est pas encore franche », selon Christophe Jacquet. « Une chose est sûre, nous souhaitons être acteurs de la reprise. Air France-KLM participe justement à cette reprise en proposant 150 destinations dès cet été, soit 80% de son réseau », ajoute de son côté Sébastien Guyot.
Et les prix parfois en baisse face à la demande moins importante pourraient terminer de convaincre quelques voyageurs. « Sur l'hôtel, le panier moyen a baissé de 22%, contre 4% sur les prix des vols. Il y a en effet une baisse de prix assez significative depuis une semaine sur les vols, comme pour l'Algérie ou le Portugal, mais aussi sur les Antilles ou sur La Réunion. Ce qui illustre que les compagnies ont besoin de réamorcer la pompe », indique le patron de MisterFly.
La crise sanitaire aura-t-elle un impact sur le comportement des voyageurs ?
Il y a la reprise, mais aussi l'avenir du tourisme qui se joue avec cette crise. Un avenir qui pourrait s'accompagner de changements de comportement de la part des voyageurs, dont les habitudes ont été bouleversées depuis quelques mois. Ce que tente d'anticiper les Entreprises du Voyage.
« Nous sommes face à l'une des grandes ruptures du monde dans l'histoire de l'Homme. Il y a ce qu'on vit dans cet instant, et tout ce qui va bouger profondément dans les mois et années qui viennent. Ce n'est pas écrit, mais gardons cette idée d'une rupture gigantesque, à la fois extrêmement intime et mondiale. C'est tellement énorme qu'on n'a pas encore compris ce qu'il s'est passé », analyse le sociologue Jean Viard, directeur de recherche au CNRS.
Avant d'ajouter : « L'oeuvre du Monde, c'est la plus belle œuvre qu'il puisse y avoir. Nous sommes les fabricants d'une culture mondiale absolument fantastique. Cela va donc devenir un vrai enjeu culturel, contre la pensée grandissante qu'il n'est pas primordial de voyager ».
Parmi les enjeux auxquels il faudra répondre, selon le sociologue : survivre à 2020 et faire en sorte que les gens ont un sentiment de vacances en période de crise ; mais aussi, à horizon 2021-2022, améliorer la destination France, la rendre plus attractive et ainsi faire plus de chiffre d'affaires. Autant de défis qui incombent aux acteurs du tourisme, qui sont nombreux à déjà y travailler et réfléchir aux autres enjeux qui les attendent, notamment sur les questions environnementales.
« L'écologie ne devrait pas être un débat, cela devrait être une obligation. Le tourisme peut devenir compatible avec l'écologie s'il prend en compte tous les impacts négatifs qu'il provoque (…) Et j'espère que les écologistes progressistes prendront le pouvoir et imposeront ça. Parce que si l'on attend que ce soit les opérateurs qui le fassent, nous n'y arriverons pas », estime le patron de Voyageurs du Monde, Jean-François Rial.
Un avis partagé par Olivier Kervella, le patron de NG Travel, qui voit également d'autres problèmes à affronter. « Je pense que le monde d'après va beaucoup ressembler au monde d'avant, mais avec une accélération de tendances déjà présentes avant la crise. Il y aura d'abord le développement d'une nouvelle norme sanitaire, mais nous connaîtrons aussi un véritable cataclysme économique, notamment sur le niveau du pouvoir d'achat chez les moins aisés, avec un impact sur les voyages. Ce qui va impliquer des voyages moins loins, au détriment des destinations long-courriers, et peut être des voyages plus courts. Enfin, je crois aussi au développement des formules à crédit pour les voyages », avance-t-il.
Que faire alors pour continuer d'attirer les voyageurs ? En terminer avec le « gigantisme » et proposer, par exemple, une hôtellerie à dimension plus humaine et des produits plus personnalisés. « La crise a porté un coup de projecteur sur nos métiers et sur la dimension des services que nous proposons : le rapatriement, les conseils, etc. C'est à nous, opérateurs de voyages, d'anticiper, de ne pas subir. Et pas seulement sur l'écologie. Mais aussi sur la personnalisation de nos voyages, sur la rencontre de l'autre et de l'ailleurs. Qui d'autres que nous sont les mieux placés pour cela ? On doit favoriser un client plus acteur de son voyage, mais aussi plus préparé à son voyage. C'est aussi une façon de devenir les experts du bonheur de nos clients au quotidien. L'agent de voyages doit être l'expert de la gestion du temps de loisirs », réagit Guillaume Linton, pdg d'Asia.
Peut-être le futur mot d'ordre pour le tourisme de demain.