L’Isérois Raymond Faure fêtera ses 90 ans le 3 mai prochain. Toujours bon pied bon œil, le patriarche est de toutes les décisions. Il a d’ailleurs fait sienne la devise d’Antoine de St Saint-Exupéry : «Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible».
Pas une décision stratégique ne se prend sans qu’il ne soit là. Toujours président du conseil de surveillance de la holding familiale (G.RAY.FF), l’arrière-petit-fils de cette entreprise familiale créée en 1848 veille à la bonne marche du Groupe Faure.
Cette année, votre entreprise fête ses 170 ans, vous, vos 90 ans dont 72 dans l’entreprise... Quel est le secret d’une telle longévité ? On dit qu’elle tient à votre culture du risque.
(Sourire) J’ai connu mon grand-père avec sa diligence, mon père avec les cars Barron Vialle, dont j’ai racheté les parts de mon frère parti à la retraite en 1992. Cela fera 25 ans en novembre et je suis toujours là. Non plus de 5 heures du matin à minuit comme lorsque j’étais jeune. Je suis plutôt là de 9 à 19 heures. Et nous allons encore racheter trois ou quatre entreprises cette année car je pense que mes petits-enfants n’ont pas assez de travail. Il faut bien s’occuper. Le travail commence toujours après l’acquisition.
Vous avez déjà repris 30 sociétés au long de votre parcours et vous comptez 13 filiales 100 % Faure en Auvergne Rhône-Alpes, en Île de France et en Languedoc Roussillon. Souhaitez élargir encore votre zone géographique ?
Nous en resterons là sur le plan géographique. La région Auvergne Rhône-Alpes est la seconde région de France. Ce n’est déjà pas mal d’y être à ce point présent. Dans l’Ain et la Loire, nous sommes moins implantés. Il y aura sans doute des choses à faire. J’ai toujours essayé d’assurer ma succession dans de bonnes conditions. Aujourd’hui j’ai deux filles et quatre petits-enfants. Il nous faut encore grossir pour assurer leur part à chacun de ces quatre héritiers. Et nous sommes aussi obligés de grossir pour rester indépendant. Mais je dois dire que les affaires deviennent de plus en plus difficiles depuis la loi Macron.
La libéralisation des transports voulue par la loi Macron ne vous convient-elle pas ?
Non, car cela a libéré le transport sans apporter de protection aux entreprises françaises. Cela aboutit aujourd’hui à la liquidation de sociétés qui n’ont que 30 à 40 bus. Nous-mêmes avons eu quelques soucis, mais on résiste malgré les concurrents qui sont bien là. Prenez les navettes Grenoble-Lyon-Saint Exupéry que nous opérons désormais sous franchise OuiBus. Nous étions à 24 € l’aller. Nous avons du réduire le prix pour faire face à la concurrence, au risque de mettre en péril notre équilibre financier. Nous travaillons sur le sujet depuis 1978 avec le rachat des Cars Ricou. La liaison Grenoble-Lyon se faisait alors en 3h15. En 1980, nous avons mis en place une liaison directe à raison de six allers-retours par jour. Nous avons vraiment créé cette ligne en arrivant progressivement à 44 navettes par jour. La concurrence engendrée par la loi Macron nous oblige à revoir notre offre et à supprimer des navettes. Au final, nous avons acheté cette ligne, nous l’avons payée et nous nous apercevons maintenant que nous n’en sommes plus propriétaire.
Mais votre association avec Ouibus ne vous permet-elle pas de mieux résister ?
Nous avons provoqué cette opération pour être plus fort. Et cela nous donnait des finances pour élargir nos dessertes. Nous avons ainsi pu créer cinq lignes supplémentaires dans un rayon de 100 à 150 km autour de Lyon-Saint Exupéry. Nous avons prévu pour cela l’achat de 32 véhicules sur deux exercices, et nous avons investi dans des garages. Nous avons, par exemple, doublé la surface de celui de Saint-Priest. Et nous avons embauché du personnel. Mais l’équilibre financier de l’ensemble était prévu avec une ligne historique solide. Aujourd’hui, la concurrence pèse sur l’ensemble du projet. Ce n’est pas une bonne solution de descendre tout en bas de l’échelle pour ensuite essayer de remonter.
Vous êtes attachés à votre département et à votre implantation iséroise. Comment vivez-vous le fait de ne pas avoir été retenu pour reprendre la régie départementale de l’Isère et ses 450 cars ?
Nous sommes nés dans ce département. Nous y étions donc naturellement positionnés, mais il faut croire que ce n’était pas suffisant puisque cela n’a pas fonctionné. Cela aussi, cela ne me plaît pas du tout.
Après tant d’années à la tête de l’entreprise, quelle vision du métier avez-vous aujourd’hui ? Pensez-vous qu’il soit toujours possible de rester indépendant ?
Ce que je redoute, c’est tous ces gens qui veulent s’occuper du transport et qui n’y connaissent rien. Cela désoriente les activités. J’ai peur que la situation ne se détériore. Les bonnes idées, ce sont celles que vous avez le temps de mettre en place. Mais avec l’arrivée des Suisses, des Luxembourgeois, des Allemands..., comment cela va-t-il pouvoir se faire ? Tout cela n’est pas très sain. Et je ne vois qu’une solution, le regroupement.
Le regroupement, ce n’est pas très nouveau. Le groupement Réunir existe déjà depuis 1998.
(Nouveau sourire et petite pause). Oui, bien sûr. D’ailleurs j’étais à son origine, mais notre entreprise était devenue trop grosse et nous en sommes sortis. A chaque époque, ses nécessités. Qui aurait pu dire qu’un jour on fasse une société commune avec la SNCF ? Pas moi en tout cas. Et nous l’avons fait ! Il est d’ailleurs de moins en moins facile de prévoir l’avenir.
Vous êtes et avez toujours été d’abord un transporteur, mais aujourd’hui votre filiale Faure Tourisme totalise 4 000 Pax en individuel et 20 000 en groupe avec respectivement 50 % et 65 % des voyages effectués en bus. Cette activité tourisme est-elle essentielle pour votre groupe ?
Notre activité tourisme reste une nécessité pour que la « boutique » vive. Nous avons toujours une vraie production de voyages en autocars, qui reste notre cœur de métier. Elle est revendue dans nos douze agences de voyages, et bien au-delà. Dans le réseau Ailleurs Voyages, Havas, Leclerc et pleins d’agences indépendantes en région Auvergne Rhône-Alpes. C’est une source de développement et cela constitue une vraie vitrine. Cela génère, en effet, une belle image au niveau de la publicité.
Vous avez pourtant revendu vos parts dans OL Voyages au groupe Marietton qui s’en est fait acquéreur ?
Cet acquéreur voulait reprendre la totalité de l’agence. Il nous était difficile de dire non. Mais nous avons gardé le partenariat avec l’Olympic Lyonnais, dont nous sommes le partenaire transport officiel depuis 30 ans. Nous restons d’ailleurs le transporteur de nombreux clubs sportifs, une cinquantaine encore, comme les équipes de rugby de Bourgoin-Jallieu (CSBJ) et Grenoble. Et nous gardons notre participation dans Skimania, qui propose des journées et week-ends ski avec transport.
Vous avez transmis voilà dix ans les manettes opérationnelles de l’entreprise à vos descendants, tout en restant à leurs côtés. Est-ce pour vous important d’être toujours là ? Que souhaitez-vous leur apporter ?
Une société encore plus solide à travers mon expérience bien sûr. J’ai encore du répondant (sourire amusé). Je suis notamment là pour faire les achats. Pour décider de se lancer si l’opportunité se présente. Cela m’occupe bien, mais je peux partir quand je veux.
Votre filiale Faure Tourisme fête ses 30 ans en lançant des semaines à thème et des promotions dès janvier, avec notamment « 15 jours Faure-midables » avec des remises jusqu’à 50 % sur certains voyages. Mais qu’avez-vous prévu pour célébrer les autres anniversaires de cette année 2018 ?
Nous y travaillons encore. Mais ce que je peux vous dire c’est qu’après avoir invité quelque 1 300 personnes au Quartier Latin pour nos 168 ans d’existence (NDRL : et ses 70 années passées dans l’entreprise !), cela sera davantage une fête tournée vers le personnel.
Nathalie Ruffier
Groupe Faure en chiffres
- 77 M€ de CA consolidés en 2016
- 1 176 véhicules dont 1 046 de transport en commun
- 13 sociétés d’autocars
- 1 250 salariés
- 12 agences de voyages sous franchise Havas depuis 2009
- 8 services groupe
- 150 agences de voyages qui distribuent les voyages organisés par Faure Tourisme
- 24 000 voyageurs partis avec la production maison en 2017
- 18 M€ de volume d’affaires tourisme en 2017