Réenchanter nos destinations Ingénieure générale des mines et polytechnicienne, Caroline Leboucher a été nommée en mai dernier par le conseil d’administration de Atout France pour constituer un tandem original comme directrice générale avec un président lui-même ancien directeur général.
Après une brillante carrière de haut fonctionnaire et de passages dans les cabinets ministériels, elle rejoint l’Agence française pour les investissements internationaux, intégrée à partir de 2015 au sein de Business France, dont elle est nommée directrice générale déléguée en charge des investissements internationaux. C’est donc une experte de l’international, de la stratégie et des investissements qui a pris la barre de l’agence de promotion et d’ingénierie touristique de la France.
Quelles premières impressions ressentez-vous, bientôt un an après votre nomination ?
C’est déjà un sentiment de fierté d’avoir été choisie parmi quelque 200 candidats pour diriger cette belle maison dont les missions sont passionnantes. Dans mon poste précédent j’étais en charge de l’attractivité économique de la France et je passe à l’attractivité tout court.
Votre passé économique a-t-il joué en votre faveur ?
Je trouve que c’est un bon signal d’avoir privilégié cette dimension. Dès mes premières rencontres, que ce soit au ministère ou avec les partenaires, j’ai insisté sur la nécessité de renforcer encore cette vision économique du secteur. Le tourisme est un secteur industriel essentiel aussi bien en termes d’emplois, de part dans le PIB, que d’irrigation et d’aménagement des territoires. Mais notre leadership était tellement une évidence pour beaucoup que l’on avait tendance à le trouver normal. Or, nous sommes dans un domaine très concurrentiel. Je suis donc très heureuse que dans la communication récente sur les chiffres du commerce extérieur on ait relevé le rôle du tourisme dans les excédents des exportations de services.
Ce travail encore nécessaire de reconnaissance du secteur tourisme affecte-t-il les moyens dont vous pouvez disposer, notamment pour la promotion ?
Non, ce n’est pas le cas et la France est assez largement considérée comme une référence et une nation en pointe en matière de tourisme par d’autres pays. Nous sommes très observés. Une des particularités de la France, c’est une certaine dispersion des moyens de promotion dans les différentes strates du mille-feuille administratif, mais au total, les moyens sont assez conséquents.
Avez-vous réussi à sauver les millions de budget que le gouvernement voulait vous prendre ?
Soyons clairs, dans les discussions budgétaires, les moyens opérationnels consacrés à la promotion de la France à l’international sont sanctuarisés et devraient même augmenter cette année. Nous attendons la confirmation d’une hausse des fonds de promotion issus de l’émission des visas, qui passeraient de 4,7 à 5,7 millions. C’est inscrit dans la loi de Finances. Par ailleurs, depuis mon arrivée, avec le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, notre tutelle, nous avons des discussions concernant nos moyens de fonctionnement. Nous faisons et nous devons encore faire des économies, mais cela n’a rien à voir avec les rumeurs qui ont pu circuler en 2019 sur un risque de réduction drastique de notre réseau à l’étranger. Le déménagement du siège dans de nouveaux locaux fonctionnels et très agréables, comme nous l’avons fait aussi pour nos bureaux dans plusieurs pays comme à Tokyo ou à New York, a permis de faire des économies substantielles. Des efforts supplémentaires devront être réalisés concernant nos effectifs, ce n’est jamais simple ni agréable, mais cela fait l’objet d’une rupture conventionnelle collective en France, de non-remplacements à l’étranger et de mutualisations de compétences. Les objectifs seront ainsi atteints sans affecter notre efficacité.
Est-ce que la poussée du monde digital peut compenser cette baisse de moyens humains ?
Il est évident que le digital est de plus en plus présent dans le monde du tourisme et je voudrais insister sur le côté pilote de notre secteur qui est très engagé dans la transformation numérique, plus que d’autres. Cette évidence va s’imposer de plus en plus car cela correspond à la manière de communiquer et de fonctionner des nouvelles générations, que ce soit en BtoC ou en CtoC. Mais certains marchés demeurent encore très intermédiés, comme la Chine ou le Japon, ou certains marchés comme l’Allemagne, le Royaume-Uni ou les États-Unis sur certaines niches. Nous avons encore besoin d’actions directes en BtoB.
Quel regard portez-vous sur votre site France.fr ?
Deux ans après son lancement il est reconnu par tous les partenaires et largement consulté par les visiteurs si j’en crois la progression du nombre de visites. C’est le bon moment, me semble-t-il, pour s’interroger sur la pertinence de notre positionnement, notamment sur les cibles jeunes et vis-à-vis de toutes nos sources d’information. Un audit est en cours mais qui ne remet pas en cause le choix qui a été fait d’un site « inspirationnel » qui fait rêver sans chercher à être une plateforme commerciale. Le consensus est général sur le fait de ne pas renouveler les expériences et tentatives passées de ventes, car ce n’est pas notre rôle ni notre métier. Mais il faut bien s’assurer d’être en liaison avec les plateformes de vente et de faire des campagnes conjointes pour mettre la France « sur le haut de la pile ».
Le contexte actuel, un peu anxiogène après la multiplication des catastrophes climatiques et l’épidémie de corona virus, est-il de nature à affecter les échanges touristiques en profondeur ?
Il y a un impact à court terme bien sûr, mais si j’en crois les analyses fournies par le WTTC ou l’OMT, et même des banques comme le Crédit Agricole, même les plus prudentes et dans les divers scénarios, la conclusion est toujours dans la forte résilience du tourisme. Cette résilience est notamment mise en évidence dans une étude d’Oxford Economics pour le compte du WTTC, qui constate que la reprise de croissance de fréquentation est de plus en plus rapide après un événement tragique. Les voyages font désormais partie des droits fondamentaux, pour nombre de citoyens. Nous l’avons un peu oublié peut-être car c’est plus évident pour les nations occidentales, mais ce droit, cette possibilité de voyager est relativement récente dans un certain nombre de pays, notamment asiatiques. Et cela suscite naturellement une explosion du nombre de voyages internationaux.
Pour autant, quelle est aujourd’hui votre action auprès des professionnels touchés ?
Nous maintenons une veille quotidienne de la situation et nous adaptons notre stratégie à court terme de gré, ou de force quand les autorités chinoises n’autorisent plus les voyages en groupe, par exemple. Nous reportons certaines opérations et nous suivons attentivement les préconisations des autorités françaises.
Les thèmes de promotion mis en avant peuvent-ils évoluer en fonction de cette actualité ?
J’estime qu’au contraire, pour sortir de ce climat, que vous qualifiez d’anxiogène, on a d’autant plus besoin de mettre en avant ce qui fait la force de notre destination, son art de vivre, le bien-être, la gastronomie, l’œnotourisme, le tourisme durable, nos sites et notre patrimoine, autant d’atouts qu’aspirent à découvrir les touristes internationaux. Plus que jamais, il faut continuer à faire rêver, ce qui ne nous dispense pas, dans le même temps, de rassurer les touristes étrangers sur les mesures prises en France, par les autorités, en matière de sécurité sanitaire.
Faut-il craindre quelques manifestations de méfiance vis-à-vis de la clientèle asiatique ?
Il faut rester collectivement très vigilants. La peur peut conduire à des réactions irrationnelles. Au Japon, en Corée du Sud et même en Chine circulent déjà des récits de touristes qui ont vécu de mauvaises expériences récemment. L’impact négatif est potentiellement plus important pour notre économie touristique qu’une crise sanitaire à plus long terme. Nous communiquons régulièrement avec nos adhérents sur les mesures de contrôle sanitaire mises en place et sur l’importance de redoubler la qualité de l’accueil. Nous avons une communication en temps réel car la situation évolue rapidement. Informer, rassurer, s’adapter, et, dans un troisième temps, assez vite j’espère, se préparer déjà à la relance. Tous ceux qui ont vécu cette période de confinement n’auront qu’un désir, c’est de voyager à nouveau, et quelle meilleure destination que la France ?
Les objectifs de 100 millions d’entrées internationales et de 60 milliards d’euros de recettes en 2020 sont-ils toujours pertinents ?
Ce sont des objectifs annoncés en 2015 par Laurent Fabius et repris à leur compte par Jean-Yves Le Drian et Jean-Baptiste Lemoyne en 2017. Vous aurez constaté, plus récemment, que les ministres insistent moins sur l’objectif des 100 millions, qui a déjà été reporté à 2022, mais davantage sur les 60 milliards, pour en revenir à la dimension économique de notre secteur. Il n’y a pas de doute, compte tenu de la hausse naturelle des marchés émetteurs, sur le fait que les 100 millions de visiteurs internationaux seront atteints dans les prochaines années. La vraie question est : comment s'y préparer ? Comment accueillir ces 10 millions de touristes supplémentaires ? Qui seront-ils ? D’où viendront-ils et comment en faire davantage profiter tous les territoires ? L’un de nos grands enjeux est bien de disperser ces flux dans les régions et dans le temps, en y ajoutant deux autres défis : qu’ils restent plus longtemps et qu’ils reviennent régulièrement pour ceux qui ont la possibilité de le faire, notamment les Européens.
L’offre française évolue-t-elle correctement pour faire face à ces défis ?
C’est la deuxième mission d’Atout France, celle de travailler sur le renforcement de notre offre touristique, et là encore je reviens sur notre caractère de destination de référence. Par exemple, les Pays-Bas vont calquer notre modèle et ajouter cette dimension à la mission de promotion actuelle de notre homologue hollandais.
Pour en revenir à l’offre, à son adaptation et à son renouvellement, il n’y a pas à rougir du tout. Il suffit de regarder le tableau des investissements touristiques annuels que nous tenons à jour. L’objectif affiché gouvernement était d’atteindre un niveau de 15 milliards d’euros en 2020, or nous sommes déjà parvenus à 15,7 milliards en 2018. Cela montre le dynamisme du renouvellement de l'offre touristique française qui investit dans les filières porteuses, le tourisme durable ou l’innovation, avec notamment des formes d'hébergement nouvelles qui répondent aux attentes des jeunes. On voit bien à travers les exemples de votre numéro spécial sur les Nouveautés 2020 la prise en compte par les acteurs du digital, de la réalité virtuelle, du développement expérientiel qui fait partie des grandes attentes des touristes en réussissant le mariage de la culture, du patrimoine et du numérique, avec de nouvelles façons de mettre en scène notre patrimoine.
Vous rappeliez que l’innovation fait partie des axes stratégiques présentés au conseil d’administration d’Atout France…
Oui, tout à fait, c’est un axe majeur. Nous avons tenté l’expérience de présenter plusieurs startups, en partenariat avec le Welcome City Lab, lors du salon Grand Ski à Chambéry. Aussi bien les exposants français que les TO étrangers ont été très heureux de découvrir leurs innovations, et les start-ups elles-mêmes ont tiré un bilan très positif de leur présence, grâce aux contacts pris et à la couverture médiatique obtenue à cette occasion. Nous allons poursuivre ces expériences en étendant la collaboration avec le réseau France Tourisme Lab via une convention. Nous avons la chance de pouvoir surfer sur le mouvement de la French Tech que le monde entier nous envie. Réunir nos deux leaderships en matière de tourisme et d’innovation est prometteur pour réenchanter notre offre et les destinations France.
Vous avez mentionné plusieurs fois la clientèle jeune, est-ce un moyen de la séduire davantage ?
La clientèle des jeunes, et notamment des jeunes Européens, est l’une de nos priorités. Une de nos récentes études a révélé à ma grande tristesse que la France ne fait pas rêver les « Millennials » européens, et qu’elle ne figure pas dans le Top 10 de leurs destinations favorites, de leur « bucket list » partagée sur les réseaux sociaux. Mais la bonne nouvelle, c’est qu’une fois qu’ils sont venus en France, nous passons dans le Top 3 ! Tout le défi est donc de modifier notre image parfois un peu traditionnelle, voire trop sophistiquée. Les nouvelles formes d’offres d’hébergements, les nouvelles expériences et nouvelles mobilités plus durables proposées notamment grâce à l’offre des startups touristiques sont autant d’atouts dans cette stratégie.
Comment se passent vos relations avec les représentants de territoires ?
Dès mon arrivée, j’ai souhaité tisser des liens étroits avec les territoires. J’ai par exemple institué des réunions régulières avec les directeurs généraux des CRT - j’avais pris cette habitude quand j’étais en charge des investissements internationaux avec les responsables des agences régionales de développement économique. Cela nous permet tous ensemble d’avoir une compréhension partagée des enjeux et des stratégies à déployer. Ils étaient très demandeurs de ce type de réunions où l’on aborde déjà les enjeux du Mondial de rugby 2023 ou des JO de 2024, comme ceux du digital, des données, des attentes sociétales ou des investissements et cela est bénéfique pour tous !