"Nous nous considérons comme des producteurs d’expériences"
Diplômée de l’université Paris Dauphine et du Celsa, Florence Beyaert a rejoint l'entreprise en juin 2017, comme directrice commerciale et marketing, après 13 années d’expertise dans le tourisme notamment chez Europcar (2013-2017) et Disneyland Paris (2005-2012). En assurant désormais sa direction, elle va faire évoluer avec son équipe le modèle économique et assurer la transformation digitale du groupe.
Vous avez rejoint l’entreprise en juin 2017, deux ans après son rachat par Ekkio Capital au fonds LBO France, peut-on dire que l’actionnariat est stabilisé ?
L’actionnaire est aujourd’hui très impliqué dans le développement stratégique qui vise à élargir nos activités et passer du statut d’assembleur à celui de producteur touristique. Il y a un vrai processus d’évolution pour diversifier nos activités car nous sommes encore largement associés, aux excursions en autocars. Cela reste une part importante de notre activité, mais ce n’est plus la seule. Dans les excursions, nous avons développé les visites thématiques à pied. Cela s’est concrétisé par le rachat de plusieurs startups, d’abord Localers présente à Paris et en Province avec une offre de plusieurs centaines de circuits à pied, puis Meetrip et Cariboo, deux plates-formes de mise en relation avec des guides, ayant une forte connotation de visites insolites proposées par des amoureux de leur quartier pour Cariboo.
Un axe important de développement a été engagé le long de la Seine dans la continuité de nos activités avec La Marina, avec la reprise du Melody Blues et, plus récemment de La Parisienne.
Comme l’indique encore fortement votre nom, vous êtes un acteur essentiellement parisien ?
Nous continuons bien-sûr à proposer des excursions dans Paris et depuis Paris vers d’autres destinations, avec des nouveautés régulières qui couvrent de plus en plus toute la France. Nous allons multiplier les offres au départ des régions, sur des thématiques comme le vin et le vignoble, autour du Bordelais ou Aix-en-Provence. Le transport en autocar n’est plus une finalité mais juste un moyen.
En quoi cela a-t-il modifié votre modèle économique ?
La transformation du modèle passe par un recentrage sur notre métier d’opérateur de services touristiques et non plus de transporteur. Jusqu’en 2015, le parc des autocars appartenait à ParisCityVision. Il a été cédé et nous travaillons désormais en partenariat avec Visual, filiale de Transdev qui gère la flotte à nos couleurs. En revanche, nous avons conservé notre flotte de minibus. Parallèlement, nous voulons renforcer notre proximité avec les clients à travers une présence physique et des points de vente à notre enseigne, comme nous l’avons fait près de la Tour Eiffel et d’autres à venir prochainement.
Que devient le siège historique de l’entreprise rue de Rivoli ?
C’est un très bel emplacement où nous sommes présents depuis plus de 50 ans. Il n’est pas question de se séparer de ce point d’ancrage dans la vie parisienne mais sa vocation est amenée à changer en parallèle avec la politique d’urbanisme et de circulation de la Ville de Paris, qui prône la «mobilité douce». Le lieu d’embarquement dans les autocars pour les départs d’excursion sera déplacé - certainement vers la périphérie - et ce siège emblématique fait l’objet d’une réflexion sur une autre façon d’accueillir nos clients.
Dans quelles conditions menez-vous cette réflexion avec la Ville de Paris, dont certains professionnels jugent le discours peu en phase avec les actions en faveur de la circulation des autocars ?
Nous avons pris l’option de travailler en commun avec les responsables municipaux sur la rédaction d’une charte qui permettra de maintenir de bonnes conditions de travail. Elle part aussi du constat que nos clients ont une envie de visiter différemment la ville, les villes, de manière plus personnalisée parfois antinomique avec un circuit en autocar. Ces nouvelles contraintes sont une opportunité supplémentaire pour repenser notre métier d’excursionniste. Je prends l’exemple du nouvel aménagement autour de la Tour Eiffel, qui met en valeur les jardins et qui peut suggérer une nouvelle approche de la visite.
Signez-vous la mort du tour de ville en autocar ?
Se réinventer, c’est aussi puiser dans notre histoire. Il se trouve que dans les années 50 ParisCityVision exploitait des bus futuristes pour l’époque, appelés les Licornes, par référence à leur design. C’étaient des véhicules de plus petites capacités, entièrement vitrés, qui offraient justement une expérience plus proche. Nous envisageons de redonner vie à ces Licornes ou leurs descendantes.
Comment définiriez-vous votre nouveau métier, s’il s’agit de recentrage ?
C’est plutôt une réorientation, nous voulons être identifiés comme des «producteurs d’expériences» et non plus comme des assembleurs de prestations, en explorant de nouveaux terrains de jeux à Paris toujours, mais aussi ailleurs. Et à Paris, dans de nouveaux territoires plus accessibles à pied.
Cela veut-il dire aussi que vous vous détachez des groupes pour être plus présents auprès des individuels ?
En fait, nous travaillons davantage avec des individuels regroupés qu’avec des groupes constitués. Nous n’avons pas vocation à développer une activité réceptive qui prendrait en charge l’intégralité des besoins en hébergement, en restauration, en loisirs. Notre valeur ajoutée porte sur l’expérience de découverte de la ville et ses activités.
Pourriez-vous ajouter d’autres cordes à votre arc ?
Le premier développement dont je vous ai parlé est celui de la Seine, où nous voulons être encore plus présents avec sans doute de nouvelles acquisitions sans s’interdire de regarder toute autre activité complémentaire ou lieu emblématique qui pourrait renforcer cette production d’expériences. Nous continuons ainsi à regarder du côté des startups qui ont des offres originales.
Pour en revenir à ces startups qui souvent cherchent à «disrupter» la vieille économie, l’arrivée de Cariboo dans votre groupe, qui met en relation les visiteurs avec des guides amateurs, certes passionnés mais parfois approximatifs, n’a-t-elle pas provoqué de réactions avec les guides professionnels ?
Nous restons certainement le premier employeur parisien de guides conférenciers et nous sommes les garants d’une grande rigueur et qualité dans leur approche. Cariboo a une vocation différente, c’est une place de marché qui propose des visites insolites, très différenciantes. Pour conserver ce niveau de qualité impératif pour notre crédibilité, cela passe par une forte sélection d’une quinzaine de propositions par destination, avec une vérification du sérieux des intervenants et de la cohérence du discours avec le parcours concerné. Les deux formules sont complémentaires et nous nous devons d’être présents sur la seconde, qui répond de plus en plus à la demande des touristes.
Considérez-vous Lorànt Deutsch, qui commente l’une de ces visites insolites dans Paris comme un amateur éclairé ?
Nous cherchions un ambassadeur pour cette nouvelle approche de visite à pied, commentée et insolite. Par ailleurs, dans les enquêtes menées auprès des clients, on ressentait l’envie d’un nouveau rapport à l’histoire, plus anecdotique et plus ludique. Et Lorànt Deutsch incarne totalement cette vision pour toucher cette clientèle, notamment plus jeune, qui n’aurait pas pensé aller visiter l’île de la Cité comme le propose Lorànt avec beaucoup de petites histoires dans la grande histoire.
Pourrait-il y avoir d’autres Lorànt Deutsch ?
Pourquoi pas, mais avec des univers différents, tout en ayant des personnalités aussi attachantes.
Les villes déjà très populaires dans le monde s’interrogent sur la gestion des flux touristiques et de ces populations de visiteurs qui se concentrent tous aux mêmes endroits et au même moment, au risque de provoquer, au mieux des embouteillages, au pire un rejet violent de la population. Comment pouvez-vous contribuer à cette réflexion ?
Notre souhait est justement de diversifier nos propositions pour ne pas se concentrer sur le Top 5 des monuments les plus visités à Paris. Nous ne pouvons pas dépendre que de ceux-là qui vont continuer d’être très fréquentés. Notre développement va passer davantage par les Régions, un relais de croissance important, et sur les sites majeurs pour proposer une expérience différente. On a ainsi travaillé sur de nouveaux tours, pour les tester, comme le «#BestPhotosTour», où des guides vont proposer des spots des plus belles vues de Paris à «poster» sur Instagram, avec des angles originaux. A chaque fois, notre leitmotiv est de «décaler le regard» même dans des lieux très visités.
Pouvez-vous attirer les touristes ailleurs que dans les grands monuments ou sites ?
Je prends l’exemple du Street Art dans le 13e arrondissement, c’est l’un des best sellers de Localers, très inter générationnel, même si nous sommes conscients que nous ne sommes pas sur les mêmes volumes. C’est encore un marché de niche, mais déjà à plus forte valeur ajoutée, et qui intéresse davantage la clientèle française. Alors que ParisCityVision a un fort ADN international, c’est aussi une façon de nous rééquilibrer.
Le contexte actuel reste encore marqué par les séquelles des attentats de 2015 et 2016 sur l’activité touristique dans la capitale, en quoi ont-elles modifié votre approche ?
On s’est rendu compte à cette occasion que les grandes métropoles régionales avaient une assez forte résilience en termes d’activité, notamment la Bretagne et la Corse, qui devenaient des valeurs refuges, tant pour les Français que pour la clientèle internationale.
D’où effectivement une volonté de rayonner davantage dans les territoires en dehors de Paris, qui reste notre cheval de bataille.
Quelle est votre vision du marché chinois que l’on dit très prometteur ?
Cela fait une dizaine d’années que nous travaillons déjà avec des tour-opérateurs chinois et depuis plus récemment avec des grandes places de marché comme Ctrip ou Alitrip. Notre réflexion porte sur les attentes de cette clientèle, comme sur celles d’autres nationalités, aussi bien en termes de produits que de capacités. La question est de savoir comment proposer une «expérience» de qualité à une clientèle très volatile et très sensible au prix. On y a répondu en lançant une offre de circuits conçus pour la clientèle chinoise, à la fois concentrée et qualitative. Nous renforçons nos équipes d’accueil en chinois en ajoutant les moyens de paiement usités, comme Alipay, ou d’échange comme Wechat.
Les métiers du tourisme pêchent souvent par une faible valeur ajoutée des productions, comment comptez-vous la renforcer ?
Nous visons effectivement à mettre en place des stratégies d’«upgrade», en développant une gamme de produits additionnels, pour enrichir la prestation qui a déjà été réservée. Nous avons déjà créé 4 gammes d’expériences pour répondre à toutes les envies : de la première Découverte à l’expérience personnalisée privée ou en petit groupe.
Pour en revenir à ma question initiale, votre actionnaire soutient-il cette évolution sans envisager de céder l’entreprise au bout d’un cycle habituel de détention ?
Le fonds Ekkio Capital, ex-Acto Capital (Groupama), avec d’anciennes participation comme Belambra, Odalys ou Trigano et de plus récentes comme Zoo de Thoiry ,Campings.com ou ParisCityVision à toujours été très investi dans le Tourisme .
C’est un fonds français qui a tendance à rester plus longtemps aux côtés des entreprises et qui nous a toujours accompagné dans les acquisitions récentes et soutenu dans l’évolution de la stratégie du groupe. Aujourd’hui nous avons les yeux fixés sur l’horizon des JO 2024 et la transformation nécessaire de l’accueil des visiteurs.