A la demande de Romain Vallon, nous reprenons un article de Geneviève Clastres paru sur le site de Voyageons-autrement.com. Ce webinaire était destiné à évoquer les pistes d’une transformation du tourisme. Il en appelle d’autres.
Comment les territoires peuvent-ils suivre et analyser l’activité touristique de leurs destinations ? Quels pourraient être les nouveaux indicateurs de mesure à retenir collectivement pour faire face aux nouveaux enjeux, notamment de durabilité ?
Telles étaient quelques-unes des nombreuses questions posées à Jean-Michel Blanc (IREST/CCAS) et Marc Pons (CNRS et IEA Andorre) à l’occasion du premier webinaire des « Têtes Chercheuses » organisé par le CRTL d’Occitanie et animé par Dominique Thillet, directeur du pôle de l’information, des études et de l’observation.
Relever les défis pour redessiner le tourisme de demain
Pandémie(s), crises climatiques, économiques, sécuritaires, sociales, rien n’épargne nos sociétés heurtées en permanence par le bouillonnement d’un monde qui change. A la croisée des destins de nombreuses entreprises et territoires, le tourisme, transversal par nature, n’a d’autres choix que d’imaginer de nouveaux possibles pour relever les défis de demain. Or pour avancer, on a aussi besoin de comprendre, d’analyser, de mesurer, savoir d’où l’on part pour imaginer où l’on va. Toutefois, si l’étalon économique traduit en chiffres de fréquentation et retombées financière a trop longtemps été l’unique lunette pour décoder une activité touristique pourtant multiforme, force est de constater qu’aujourd’hui, une réelle prise de conscience s’est faite jour pour analyser d’autres effets induits tels les impacts sur les ressources, le ressenti des habitants, les différentes pressions sur le territoire. Ainsi, peu à peu, au-delà du seul marché et de l’attractivité d’une destination, c’est l’ensemble des enjeux de la durabilité face à la pression touristique qui s’immisce dans la réflexion des territoires pour repenser leurs instruments de mesure et accompagner les entreprises dans leurs évolutions et adaptations.
Intégrer le tourisme dans une approche systémique et transversale
Intervenants éclairés ayant chacun une forte expérience du terrain, l’Auvergne pour Jean-Michel Blanc qui fut alors directeur de Spot Auvergne, l’Andorre pour Marc Pons qui travaille au plus près des instituts de recherche locaux, les deux hommes se rejoignent totalement sur ce besoin urgent de repenser les instruments de mesure. Jean-Michel Blanc : « Avant d’observer l’activité touristique, il est important de se demander pourquoi et pour qui observer. La mesure est aussi là pour nous aider à prendre des décisions éclairées que ce soit au niveau macro (régions, départements, CCI, etc.) ou plus micro (entreprises, acteurs, etc.). » Il rappelle en outre que l’activité touristique ne peut se concevoir sans prendre également en compte le non marchand (résidences secondaires, visites familiales ou amicales, etc.), ce qui a forcément une résonnance particulière en Occitanie qui compte un million de lits marchands et où l’on passe de six millions si l’on intègre le non marchand ; avec des implications concrètes sur les consommations sur le territoire, l’interaction avec les habitants, etc. Dominique Thillet : « On peut mesurer aujourd’hui ce que représente cette consommation locale. Nous avons fait une grande enquête auprès des clientèles régionales. Le marché intérieur existe, on a tendance à le regarder quand le volume des clientèles étrangères baisse… » Marc Pons quant à lui, nous rappelle que jusque dans les années 2000, le tourisme en Andorre (principalement basé sur le tourisme de neige et de shopping) n’était pas analysé quant à ses nombreux impacts : « A présent, on commence à mettre en place des systèmes pour le modéliser, l’évaluer, connaitre les comportements de nos clientèles, les impacts sociaux, environnementaux, économiques, climatiques. Nous réalisons un véritable travail interdisciplinaire avec l’administration publique, les chercheurs, le privé pour avoir la vision la plus holistique possible avec une réelle volonté de suivi et d’évaluation pour nous aider à planifier la prise de décision. »
© JP Bonnin
Quels outils ? Quels champs ? Pour qui et pourquoi ?
Il y a toujours eu de nombreux débats sur l’utilité de la mesure, les outils à mettre en œuvre, l’étude (lue ou pas ?), la prospective, la part du numérique, le choix des indicateurs. Une chose est sûre, quels que soient les outils, les mesures, on ne peut pas tout prévoir, il faut savoir rester humble, et les évènements récents nous rappellent combien la planète est apte à se jouer de nous. Toutefois, si la mesure n’est pas tant là pour nous lire l’avenir, elle peut se révéler une véritable béquille en ces temps troublés, en ce qu’elle nous aide à repartir du bon pied et surtout à faire les bons choix. Dominique Thillet : « Certes, il y a des évènements impossibles à prévoir mais les données permettent d’anticiper certaines choses, nous aident à savoir où l’on va appuyer pour faire repartir l’activité là où c’est nécessaire. »
Jean-Michel Blanc rappelle en ce sens combien il est indispensable d’utiliser les indicateurs du tourisme durable et le rôle d’ATD (Acteurs du Tourisme Durable) qui fédère de nombreux acteurs et territoires. Il cite également les travaux de l’ADEME sur la pollution numérique, les passoires thermiques que représentent certaines stations de montagne ou résidences anciennes, l’importance des diagnostics sur les hébergements, la question du tourisme en hiver, l’acceptabilité des phénomènes touristique et le point de vu des populations d’accueil, la dimension sociale, les emplois direct mai aussi indirects et induits qu’implique l’activité touristique, la prise en compte des modes de transport utilisés pour accéder aux destinations et s’y déplacer… autant de pistes d’analyse à creuser qui montre l’importance de la mesure comme outil de compréhension d’un faisceau de phénomènes liés.
© CRT Occitanie - G. Deschamps
En guise de conclusion
S’il fallait ne retenir qu’une chose de ces échanges foisonnants qu’il est impossible ici de retranscrire dans leur intégralité (mais qui sont écoutables en replay !), c’est quand hier, on ne s’intéressait qu’aux retombées économiques, évoquant le tourisme en nombre d’entrées, en chiffres et recettes, aujourd’hui, de nombreux territoires ont pris conscience de l’importance d’aller bien plus loin, de mener des analyses bien plus fines, et donc de mettre en place des outils de mesure bien plus élaborés. Dominique Thillet : « En Occitanie, nous faisons partie des régions pilote avec l’Île de France et la Bretagne pour une expérimentation de l’ADEME et Carbone 4 qui lancent une étude sur les externalités négatives et positives du tourisme. L’Ademe s’est notamment livré à ses projections à 20 ans en s’interrogeant sur ce qui se passerait si on continuait comme ça… » Marc Pons : « En Andorre, on commence à vouloir connaitre la valeur ajoutée du tourisme sous toutes ses dimensions (sociales, environnementales, etc.) afin de mieux le systématiser afin de choisir et d’anticiper le tourisme du futur. » Jean-Michel Blanc : « L’une des questions fondamentales est la dimension de l’utilité sociale du tourisme dans toutes ses composantes. On pourrait identifier un seuil d’acceptabilité. Demain, le succès viendra peut-être d’offres diversifiées non plus proposées par l’industrie du tourisme mais par un ensemble d’acteurs fait d’habitants, d’artisans, de PNR, etc. »
Enfin, envers et contre tout, rappeler (une fois de plus !) que le tourisme n’est pas uniquement une activité qui génère des impacts négatifs mais qu’il est un formidable outil pour aiguiser ses connaissances, sa curiosité, pour aller vers les autres, le voisin ou l’hôte plus lointain, le semblable et le dissemblable. Garder à l’esprit que le voyage a de tout temps permis de décloisonner les mondes, les cultures, les idées. Ne pas oublier aussi toute la créativité de ceux qui imaginent des voyages, quand l’effet « Wahou » vient revisiter nos émerveillements voyageurs, quand la nuitée chez l’habitant nous permet de retrouver notre âme d’aventurier découvreur. Et quand le tourisme durable n’est finalement pas plus compliqué qu’une forme de bon sens et de respect d’un monde que nos anciennes générations avaient souvent bien intégrées déjà, mais qui là aussi se réinvente sous d’autres vocabulaires et sous d’autres impulsions. Que cherche-t-on finalement si ce n’est ce « Bonheur Intérieur Brut » partagé évoqué en guide de clin d’œil par Dominique Thillet ou, pour conclure avec les mots de Jean-Michel Blanc : « Tout ce qui dans les indicateurs économiques, sociaux, environnementaux nous permettra de guider les décisions pour trouver des équilibres sur les territoires, en garantissant à chacun une part de bonheur partagé, nous mènera sur la bonne voie ».
– Les Têtes Chercheuses vous donnent rendez-vous le 18 mars prochain pour un nouveau webinaire sur l’approche territoriale du tourisme. Comment retravailler à l’échelle du territoire, intégrer les habitants, etc.