Deux fois par jour, trois en été, le ferry parti de Dieppe déverse jusqu'à 140 voitures et 600 passagers dans le petit port de Newhaven, un lien historique que l'on souhaite préserver de chaque côté de la Manche après le Brexit.
Parmi les passagers de nombreux touristes curieux de découvrir Londres, à seulement 1h15 de train, ou la campagne anglaise. Subventionnée à hauteur de 25 millions d'euros par an par le conseil départemental de Seine-Maritime, la ligne Dieppe/Newhaven "a bien failli disparaître à la fin du XXe siècle", selon TUG-Horizon. La délégation de service public a été renouvelée pour cinq ans le 1er janvier 2017.
Jean-Christophe Lemaire, vice-président du Syndicat mixte du port de Dieppe et conseiller départemental divers droite, se veut rassurant: le Brexit ne menace "clairement pas" la ligne. Toutefois, "tout le monde est inquiet" sur le sort du fret, face aux contrôles douaniers et sanitaires susceptibles de ralentir le trafic, concède l'élu. "Bien évidemment dans l'hypothèse d'un Brexit dur et de difficultés sur le plan du fret, ça va pouvoir le cas échéant avoir un impact sur la rentabilité de la ligne", dit-il, et "la ligne ne pourra perdurer que si on maintient un fret important". Mais ce port à taille humaine pourra s'adapter plus facilement que d'autres, argumente l'élu.
- Antidote au Brexit -
70 à 80% des quelque 350.000 passagers annuels du ferry sont britanniques mais la plupart ne s'arrêtent pas pour profiter des charmes de Dieppe. 5.000 d'entre eux visitent toutefois chaque année son office de tourisme. "J'ai des clients anglais qui viennent une à deux fois par an. On les sent inquiets mais je les rassure", témoigne Michael Charaoui, 39 ans, propriétaire français du pub anglais Le Cambridge situé à deux pas des plages de galets. Pour lui, le Brexit pourrait même attirer davantage de Britanniques sur le ferry, si le duty free était réinstauré à bord.
Le Brexit ne préoccupe pas trop non plus Marica Rolin, qui tient trois chambres d'hôte dans son manoir de briques rouges. "Mes clients britanniques sont des habitués qui viennent deux à trois fois par an. Ils ont de bonnes situations. Ils viendront toujours s'approvisionner en vins et en fromage", assure la Dieppoise dont la clientèle est à 30% britannique. Mais si le ferry
était supprimé? "Ce serait une catastrophe", admet-elle.
Le 29 mars 2019, le Royaume Uni doit quitter l'Union européenne mais le pays "ne déménage pas: la France reste une destination proche et le lien avec Newhaven est historique", rappelle Brian Collinge, 70 ans, retraité de l'édition installé depuis 18 ans dans une coquette maison de l'ancien quartier anglais de Dieppe.
Dès 1824, les usagers de la "General Stream Navigation Company" embarquaient à Brighton pour rejoindre Dieppe en neuf heures. Près de deux siècles plus tard, la décision des Britanniques de quitter l'Union européenne a été un choc pour June Bradbury, 61 ans. "Je crois que j'ai pleuré pendant une semaine. C'était un sentiment de perte énorme". Deux mois après, cette habitante de Newhaven a décidé d'accueillir des touristes dans une chambre de sa maison. "C'est mon antidote au Brexit", explique-t-elle, "une porte de nouveau ouverte vers l'Europe".