Mumtaz Teker dirige Magic Ways, une agence réceptive très active en Ile-de-France et c’est à ce titre qu’il a été choisi par ses confrères pour présider le Conseil Voyage en France au sein des Entreprises du Voyage. Il a bien voulu nous livrer ses réflexions sur les dossiers en cours.
Quelles sont les missions confiées à votre Conseil professionnel au sein du syndicat EdV ?
Au sein des Entreprises du voyage, il est important que l’activité réceptive soit aussi entendue des pouvoirs publics car on est bien dans la logique d’accueillir des touristes étrangers en France et leur faire dépenser leurs devises. Il n’est pas question au sein du Conseil de parler entre nous des actes commerciaux mais d’aborder toutes les questions juridiques ou fiscales qui peuvent nous permettre de mieux faire notre métier. Au-delà même du contact avec les instances gouvernementales ou législatives, ce Conseil a vocation aussi à servir d’interlocuteur avec les Régions, qui sont aussi en prise directe avec notre activité.
Pourquoi avoir encore ce besoin de vous faire entendre, alors que cela devrait être tellement naturel, quand vous générez de belles recettes internationales ?
Malheureusement, les agences réceptives sont rarement de grandes entreprises. Elles sont très éclatées sur chaque partie du territoire et dépassent rarement le cadre local. Nous comptons dans le Conseil plus de 200 agences immatriculées auprès d’Atout France, dont une cinquantaine environ vivent quasi exclusivement de leur activité réceptive. Les autres en font plus occasionnellement, en mélangeant aussi la revente de forfaits, la billetterie ou un peu de tour-operating.
Quel est le gros dossier actuellement qui mérite qu’on vous écoute ?
Il y en a plusieurs que nous abordons régulièrement au cours de nos réunions. D’abord dela fait des années que l’on cherche à résoudre une équité de traitement en matière de TVA. C’est un véritable serpent de mer et j’ai du mal à voir comment on va réussir à trouver une solution rapidement. Et pourtant, il est anormal que les agences étrangères bénéficient naturellement d’un avantage tarifaire en n’étant pas soumises comme les agences réceptives françaises à la TVA sur leur activité de réceptif. Cela n’empêche pas de remettre régulièrement le dossier sur le tapis. L’autre question qui nous préoccupe, c’est celle du statut des guides touristiques et des conditions d’accès et d’exercice à cette profession réglementée. (NDLR : la profession a été dérégulée en partie par la loi Macron avec une plus grande facilité d’accès à la carte professionnelle aux titulaires d’un Master – une situation que dénoncent les associations de guide en parlant « d’ubérisation » de leur profession). Il faut que les conditions d’exercice soient équitables pour ne pas laisser se développer des visites encadrées par des amateurs. Dans le même ordre d’idée, nous traitons du changement de statut des VTC et de leurs chauffeurs.
Cela fait déjà pas mal de sujets à traiter, le cadre légal évolue t-il dans la bonne direction ?
Nous devons nous adapter régulièrement aux textes qui changent. Dernièrement, il y a eu la nouvelle directive en matière de responsabilité des agences de voyages. Cela ne facilite pas les choses quand le nouveau décret prévoit que « le professionnel qui vend un service de voyage est responsable de plein droit de l’exécution du service prévu par ce contrat ». Cela ne concerne pas que nous, mais toute la profession des agences de voyages, car la responsabilité est supposée sans avoir besoin d’être prouvée.
Ces questions sont-elles toutes de portée nationale ?
Ce serait trop beau ! Il y a aussi des questions spécifiques à chaque région qui touche la plus ou moins grande facilité d’exercer l’activité réceptive. Les membres du bureau sont représentatifs des régions et participent à des réunions au niveau des CRT notamment ou au sein des réunions organisées par Atout France. Le rôle du Conseil est de représenter les agences, mais aussi de diffuser le plus largement les informations à nos membres, surtout à chaque fois qu’il y a une avancée. Vous avez bien que la situation parisienne est souvent bien différente de celle qui est vécue en province. J’en veux pour preuve la difficulté grandissante en région parisienne de faire circuler et de garer les autocars.
Les questions de sécurité font-elles partie de cet « agenda » ?
Non, nous ne sommes pas consultés, même si nous sommes concernés par ces sujets. Ils sont traités au niveau des préfectures et notamment de la préfecture de Paris. Je suis membre du conseil d’administration de l’Office du Tourisme de Paris et nous avons droit à des informations mais sans véritablement pouvoir influer sur les décisions prises.
Pour en revenir aux difficultés rencontrées pour la circulation et le stationnement des autocars, avez-vous le sentiment d’un traitement égalitaire ? Ma question téléguide un peu lourdement votre réponse…
C’est un sujet effectivement de plus en plus préoccupant et qui n’a pas encore été encore vraiment abordé, mais que je vais mettre à l’ordre du jour des prochaines réunions. Nous avons rencontré des situations anormales, en termes de concurrence loyale, pas seulement pour les autocars. Le sujet est venu d’abord par le biais des loueurs de voitures avec des flottes qui sont mises à disposition en provenance d’autres pays européens qui ont une fiscalité différente. C’est une situation qui se retrouve maintenant dans l’activité des autocaristes, surtout pour l’affrètement en France de véhicules qui proviennent d’autres pays de la Communauté. Les règles sociales ne sont pas les mêmes, les tarifs ne sont pas les mêmes et quand les véhicules français sont verbalisés régulièrement, les véhicules étrangers passent le plus souvent à travers le filet, en toute impunité. Ce n’est pas normal même si ce n’est pas évident de trouver une solution rapide. C’est une question de compétitivité. Les règles du jeu doivent être les mêmes.
La première destination touristique mondiale ne semble pas s’occuper très bien des professionnels nationaux qui contribuent à améliorer son PIB …
Je suis ravi de voir que le budget de la promotion touristique française à l’étranger va augmenter. Il faut faire la promotion de nos destinations et faire venir encore davantage de touristes, d’abord, comme moi, pour leur faire aimer la culture française, les faire participer à son rayonnement. Cela paraît « idéaliste », mais je considère vraiment que c’est très important parce que cela va entretenir un mouvement de fond pour notre pays. Pour une seconde raison, c’est bien que ces visiteurs participent à faire vivre notre industrie, mais il faut que cela profite aux professionnels nationaux, ceux qui travaillent en règle. Nous sommes encore dans une phase de redressement. L’activité réceptive des groupes a été très bonne en 2017, mais c’est un rattrapage. Nous sommes encore en dessous des performances de 2015, qui a été une meilleure année.
Pourriez-vous participer à un observatoire des nationalités qui fréquentent la France ; avec une analyse des variations ?
Ce n’est pas notre vocation, c’est le rôle d’Atout France. Il doit nous tenir informer de ce qui se passe en termes de fréquentation, mais notre rôle s’arrête dès que l’on parle d’activité commerciale, de stratégie marketing pour toucher tel ou tel marché. C’est de la stratégie d’entreprise individuelle.
Le paracommercialisme est un fléau que l’on évoque régulièrement, et depuis des années, voire des dizaines d’années dans les activités du tourisme, est-il encore d’actualité ?
Malheureusement oui, c’est un dossier très important qui remonte régulièrement de la part de nos adhérents sur le terrain. Nous sommes très actifs pour suivre chaque dossier qui est remonté par un membre pour activer la DGCCRF, la répression des fraudes. Encore récemment, sans vous donner de détail, nous avons réussi à traiter un cas de paracommercialisme dans le centre de la France. L’immatriculation à la place de la licence, qui semble alléger les formalités et le cadre juridique, n’enlève pas l’obligation de responsabilité civile professionnelle et celle de la garantie financière, deux règles fondamentales pour exercer sans mettre en danger les clients en cas de problème.
On parle de plus en plus d’ubérisation de toutes les activités de service, à commencer par le transport et l’hébergement via Airbnb et toutes les plateformes équivalentes. On voit désormais apparaître des activités complémentaires autour de ces plateformes pour faire visiter, faire des activités, encadrées par les propriétaires des logements… jusqu’où pouvez-vous laisser ces activités – rémunérées – se développées ?
Notre principale critère est de savoir : est-ce légal ou pas ? Est-ce que les conditions de ces activités se font dans la conformité fiscale, réglementaire ? De nouvelles formes de concurrence vont se développer et vont nous prendre des parts de marché, il n’est pas question de se battre contre un phénomène qui se généralise si on régule les pratiques.
Quelle est votre philosophie personnelle par rapport à ces développements ?
Nous ne pouvons pas être en permanence sur la défensive. Je suis un libéral par nature en matière économique et la politique de l’autruche n’est pas ma vision du business. On a eu tort d’être contre booking.com il y a dix ans pour ensuite s’en remettre à lui. La vague commerciale monte parce qu’elle répond à ce qu’attendent les clients. A nous de faire preuve aussi d’imagination et de marketing pour rencontrer les nouveaux marchés mais j’y met deux conditions, qui dépendent de l’Etat, que la concurrence soit honnête et que la responsabilité des professionnels, d’où qu’ils viennent, soit la même. Là, on pourra jouer à armes égales.
L’anticipation de ces mouvements, de ces transformations, peut-elle faire partie de vos travaux ?
Honnêtement, c’est assez compliqué à mettre en œuvre à notre niveau, je veux dire au niveau des Entreprises du voyage. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas y penser car dans pas mal de villes, et à Paris notamment, on arrive à des situations mal gérées par manque d’anticipation. Je veux parler de la circulation, de l’affluence dans les musées… Quel est le cadre pour le faire, c’est une bonne question.
Dans le même ordre d’idée, la nouvelle génération de touristes, ces fameux « Millenniums » qui bousculent toutes les façons de faire, va t-elle aussi vous obliger à changer de méthode ?
Je suis persuadé que cela va nous affecter très vite. La première chose que je constate, c’est la suppression progressive de tous les intermédiaires. Les clients essaient le circuit court. Tous ceux dont l’activité n’est pas justifiée, dont le service n’est pas justifié, sont amenés à disparaître. Cela veut dire qu’il faut une réflexion sur la valeur ajoutée. La rapidité est un facteur clef, notre réactivité doit en tenir compte. Mais, quoi qu’on fasse, la Tour Eiffel fera toujours partie de vedettes touristiques et sa capacité d’accueil ne va pas être multipliée par dix. Pareil pour Versailles, pour le Louvre. La priorité est bien dans la régulation des flux, qui vont en augmentant.
Sans même parler d’après demain, dès demain la France va accueillir plusieurs grands événements comme les JO de 2024 ? Vous sentez-vous prêt ?
Nous sommes encore dans une phase de mise en place, sans que ce soit très précis. Mais il ne faut pas tout miser sur les Jeux, c’est davantage une parenthèse, qui aura des effets bénéfiques pour le tourisme, mais davantage en couverture médiatique qu’en business réel Je préfère, pour ma part, que l’on entretienne le mouvement d’intérêt touristique pour les grandes métropoles en dehors de Paris, qui n’a pas vraiment besoin des JO pour se faire connaître. Je constate que l’on parle de plus en plus de Bordeaux, de la Normandie, du Lubéron, je ne vais pas citer toutes les régions mais vous voyez comme moi les reportages sur les transformations des régions. Les attentats qu’a vécu Paris ont été un accélérateur, en partie, de cette envie d’aller ailleurs et de découvrir un peu plus la France. La baisse d’activité n’a pas du tout été ressentie dans pas mal de grandes villes en dehors de Paris en 2016.