Dans sa chronique quotidienne sur France Culture Hervé Gardette fait une analyse pertinente du symbole que représente la chute du britannique Thomas Cook, pionnier du voyage organisé, en s’interrogeant sur les effets du tourisme de masse. Nous reprenons intégralement sa chronique, chacun peut y trouver matière à sa propre réflexion.
Chaque événement produisant son lot de formules toutes faites, il n’y avait aucune raison pour que la faillite de Thomas Cook échappe à la règle. Ce sera donc ‘’la plus grande opération de rapatriement depuis la Seconde guerre mondiale’’, formule spectaculaire, analogie un peu stupide. Attendez-vous à ce que les rédactions envoient des reporters de guerre à travers le monde pour accompagner le retour des touristes.
La chronique de cette faillite semble faire moins de cas, pour l’instant, du sort des 22 000 employés du voyagiste britannique. C’est que le phénomène d’identification ne fonctionne pas de la même manière. A l’heure du tourisme de masse, nous étions tous de potentiels clients de Thomas Cook, ce qui leur arrive aurait pu nous arriver à nous. C’est notre condition d’Homo Touristus que cette actualité interroge.
Les défenseurs de l’environnement y trouveront peut-être une raison de se réjouir. Car le tourisme pollue et accentue le réchauffement : selon une étude publiée l’an dernier dans la revue Nature Climate Change, le secteur contribue à hauteur de 8% aux émissions mondiales de gaz à effet de serre (à condition d’ajouter aux transports le bilan carbone des infrastructures touristiques). Il pollue et il dégrade. Exemple le plus fameux, celui de Venise et de sa lagune : 30 millions de personnes lui rendent visite chaque année, soit 545 touristes par habitant. La ville tremble sur ses fragiles fondations.
La faillite de Thomas Cook est-elle le signe annonciateur d’un renversement de tendance ? La réponse est catégorique : c’est non ! Si le groupe britannique succombe, c’est face à la concurrence des agences en ligne, des voyages à prix discount, du Brexit aussi semble-t-il, pas parce que le secteur va mal. Bien au contraire. Ainsi l’an dernier, 1 milliard 400 millions de personnes ont passé au moins une nuit dans un pays étranger : une augmentation de 6 % par rapport à 2017, selon les statistiques de l’Organisation mondiale du tourisme. Toujours selon l’OMT, ils seront 1,8 milliard en 2030.
Il faudrait pouvoir agir sur le nombre, limiter la quantité de touristes pour contenir leur impact. Mais c’est oublier deux choses : d’abord que le tourisme est un bon indicateur du niveau de vie des populations : les chiffres de l’OMT en témoignent, cette activité n’est pas à la portée de tous, elle témoigne d’un certain seuil de développement, d’un bien-être économique. Ensuite, c’est oublier que la possibilité de partir en vacances, de voyager, est un acquis de hautes luttes. 1936, le Front populaire. Sans congés payés, pas de touristes, en tout cas pas autant. Le tourisme de masse est la traduction d’un progrès social : lutter contre le premier, c’est donc aussi remettre en cause le second.
Dès lors, les discours qui dénigrent ce surtourisme sont à double tranchant. Prenez par exemple l’écrivain Sylvain Tesson, digne héritier d’un Nicolas Bouvier, d’une certaine idée du voyage. Dans un récent entretien au journal Le Monde, l’auteur de ‘’Dans les forêts de Sibérie’’, fait le constat d’une ‘starbuckisation’ du monde, une uniformisation des lieux de tourisme, offrant ‘’un visage rassurant parce que reconnaissable : mêmes commerces, mêmes trottinettes, mêmes signalétiques’’.
A cette uniformisation, Tesson oppose ‘’le voyage’’, cette ‘’expérience de l’autre’’. ‘’L’autre véritable vous heurte, vous emporte ou vous indigne, mais au moins n’est-il pas votre reflet’’. Difficile de ne pas adhérer à un tel discours. Mais il s’en dégage, sans doute de manière involontaire, une forme de condescendance, une approche aristocratique du voyage, l’idée que le monde se divise entre ceux qui savent voyager et ceux qui ne savent être que des touristes.
On en trouve un autre exemple, plus décomplexé, dans une tribune récente de l’essayiste Olivier Babeau dans Le Figaro : ‘’Sus au tourisme de masse !’’. ‘’Le voyage n’est plus le lent cheminement d’une caste cultivée qui cherchait à apprendre, mais l’expression d’une quête de sens désespérée de populations culturellement désorientées. On ne visite plus réellement une cité. On l’observe de haut à travers le double vitrage d’horribles autocars qui en bouchent les rues’’ Et Olivier Babeau d’inviter à ‘’voyager moins mais voyager mieux…pour réserver ses déplacements à des lieux que l’on choisit vraiment et avec lesquels a été tissé par avance un lien affectif et intellectuel nourri de lectures’’.
Une approche très XIXe siècle du voyage. Heureuse époque, où l’on ne connaissait pas encore les congés payés