Derrière ce groupe d’entreprises qui commence à déborder de son territoire alsacien, il y a, comme souvent, un aïeul: le grand-père Nicolas Kunegel, installé dans le village de Niederentzen. 85 ans plus tard, ce sont 350 véhicules qui portent le nom Kunegel.
A la tête de l’entreprise, les petits-enfants, Daniel pour la partie Transport et Michelle pour la partie Tourisme. Bientôt centenaire, le groupe ne cesse d’innover et de se déployer à travers une déclinaison de marques pour chaque nouveau concept.
En 1935, Nicolas Kunegel achète son premier camion pour transporter le lait d’un village à l’autre dans la vallée de l’Ill. Très vite, les villageois veulent profiter du véhicule pour se déplacer et l’activité de transport se met en place. Il prend un nouvel essor à la sortie de la Seconde Guerre mondiale avec deux événements déterminants: la construction du canal d’Alsace qui nécessitait d’acheminer de nombreux ouvriers de toute la région et, par voie de conséquence, l’installation de nombreuses entreprises industrielles le long de ce nouvel axe, avec un personnel également en quête de mobilité. Le développement rapide de l’entreprise s’appuie d’abord sur son activité de transport de personnel et de lignes régulières.
Quand il arrive aux commandes dans les années 60, Lucien Kunegel, fils de Nicolas, met en place une première activité touristique pour répondre à la demande de ses compatriotes de s’évader à la journée ou de participer à des pèlerinages en Suisse et en Allemagne.
Elle reste embryonnaire jusqu’au déménagement de l’entreprise de Niederentzen vers Colmar dans les années 70. Il faut dire qu’il y avait encore beaucoup à faire du côté du transport avec le développement du scolaire et l’évolution des marchés publics pour l’attribution des lignes régulières.
Ce n’est que dans les années 80 que l’entreprise se scinde en deux pour différencier ses activités. D’un côté les Voyages Lucien Kunegel et de l’autre LK Tours pour l’activité touristique. Lucien Kunegel et son fils Daniel qui le rejoint à cette période engagent un développement quasi exponentiel. « Nous arrivions à une période où beaucoup de transporteurs locaux rencontraient soit des problèmes de successions de génération, soit des problèmes d’adaptation aux nouvelles conditions du marché », explique Daniel Kunegel. « Beaucoup avaient raté le virage de l’informatique et n’étaient plus en mesure de répondre aux appels d’offres. C’est alors que nous avons entamé une longue période de reprise de confrères et concurrents avec une grande fierté que je tiens à souligner: aucun de la quinzaine de rachats effectuée n’a été agressif ou contre la volonté des dirigeants. Nous avons toujours fait en sorte que le nom du transporteur racheté soit maintenu, car il correspondait à une histoire, à des liens avec les territoires. »
Se dessine pendant cette période une « méthode Kunegel » pour intégrer les nouveaux venus. « Cela a été l’occasion de formaliser des valeurs que nous ressentions profondément dans notre quotidien », poursuit Michelle Kunegel qui avait rejoint son frère pour développer le Tourisme: « Un esprit familial, fondé sur le respect de chacun, une énergie collective fondée sur le constat que l’on n’avance pas solidement au détriment de l’autre mais avec les autres. Il a été beaucoup plus facile ainsi d’intégrer les personnels de sociétés autrefois rivales. »
« Nous utilisons rarement l’appellation Groupe Kunegel », renforce Daniel. « Nous préférons Les Entreprises Kunegel, qui impliquent le maintien de l’identité de chacune, même si nous avons uniformisé toutes les typographies et précédé chaque marque du logo LK. »
Il faut attendre la fin des années 2000 pour que l’activité Tourisme prenne une nouvelle dimension. Cela passe aussi par un premier rachat. Celui des Voyages Zimmermann de Thann en 2007 qui apporte son expérience Grand Tourisme, pour renforcer l’offre en brochure avec notamment une programmation en avion et en croisière, et une première amorce de réseau d’agences de voyages. Suit en 2010 le rachat de Bernard Voyages à Montbéliard, qui complète le tableau avec son expertise en long courrier. Une nouvelle étape majeure est franchie en 2012 avec la reprise d’Europatours/Schmittours de Sélestat, qui correspond à un quasi-doublement des effectifs de LK Tours. La société compte désormais près de 70 personnes, un réseau de 15 agences et bientôt une 16e à Strasbourg, et 6 services Groupes décentralisés.
« Je crois beaucoup à la spécialisation et à la proximité », insiste Michelle Kunegel. « Nous n’avons pas cherché à regrouper tout le service Groupes sur un même plateau, le décentralisant auprès de nos principales plateformes. De même, ce ne sont pas les mêmes personnes qui traitent les groupes en autocar et les groupes en avion et croisière, car c’est une approche différente. »
Ces différents rachats ont gardé la philosophie d’entreprise: conserver le nom d’origine, associé au logo LK, parfois même, comme c’est le cas pour Europatours, conserver la structure juridique d’origine, même si tous les dirigeants sont les mêmes.
Contrairement à certains tour-opérateurs qui se sont laissés un peu débordés par l’arrivée des nouvelles technologies, LK Tours a résolument pris le virage digital il y plus de quatre ans. Non seulement le site internet est revu et refondu régulièrement pour faciliter l’information et la réservation – il le sera encore une nouvelle fois prochainement – mais LK Tours anime cinq pages Facebook d’entreprises pour chacune des marques mises en avant.
De fait, dans cette volonté de spécialisation, chaque nouvelle activité prend une nouvelle identité. En 2016, LK Tours lance Moov’inbus, une offre de lignes de bus thématiques et sur-mesure au départ de l’Alsace, à réserver en ligne. Moov’inbus ambitionne d’être le spécialiste régional du city break thématisé pour passer une journée de shopping à Milan, un week-end fun à Berlin ou une escapade de ski entre amis dans les Alpes en empruntant des autocars Grand Tourisme de grand confort siglés.
Fin 2017, Michelle Kunegel exploite sa très bonne connaissance personnelle des Balkans, après y avoir séjourné plus de deux ans, pour fonder Cap Vers l’Est, un réceptif spécialisé sur la Croatie, les Balkans et les rives du Danube. « Je me suis associée avec un excellent guide local qui connaît particulièrement toute cette région en partant du constat qu’il n’y avait pas, en France, de représentant de réceptif capable d’élaborer et de suivre des circuits sur mesure dans plusieurs pays de la région. » Si le réceptif a le groupe Kunegel comme premier client, il multiplie les contrats avec les autocaristes et des agences françaises qui veulent réaliser des voyages culturels et profiter de l’engouement pour toute cette zone qui s’ouvre aux visites du nord au sud, de la Slovaquie à l’Albanie, et d’est en ouest, de la Roumanie à la Slovénie.
L’innovation ne s’arrête pas là, puisque LK Tours s’intéresse aussi aux voyages individuels sur mesure en lançant la marque Lounge Voyages, un « concept store » qui se présente comme un cocon, un loft privatif où les clients élaborent avec leur conseiller personnel le voyage idéal de leur rêve.
LK Tours ne craint pas s’aventurer dans de nouvelles expériences commerciales. Avec l’aide de plusieurs start-up alsacienne, l’entreprise se lance dans la réalité virtuelle pour faire parcourir aux clients potentiels les circuits proposés en situation pratiquement réelle. « Nous travaillons avec quatre start-up du Grand Est qui réalisent les films à la demande sur les circuits ou les séjours que nous mettons en avant. Dans nos agences ou sur notre stand dans les salons de tourisme, les clients peuvent enfiler un casque de réalité virtuelle et prévisualiser leur programme », décrit Michelle Kunegel avec la fierté non dissimulée de geek du tourisme.
Avec une quinzaine d’agences de voyages en propre, LK Tours peut compter sur son propre réseau et sa démarche en ligne pour assurer le remplissage de ses circuits et la vente de sa programmation. Ce qui ne l’empêche pas d’organiser régulièrement, comme certains de ses confrères, son propre salon du Tourisme. Le dernier s’est tenu fin 2017 au siège de l’entreprise à Colmar, dans l’immense hangar vidé pour l’occasion de ses véhicules. Il devrait être renouvelé prochainement, mais en attendant des événements commerciaux sont régulièrement organisés autour des agences, toujours pour cultiver au maximum cette notion de proximité.
Alors quel avenir s’offre à ce groupe d’entreprises, qui multiplie les marques? La taille critique est-elle atteinte ou faut-il encore passer à un échelon supérieur? « C’est une réflexion que nous menons en permanence », intervient Daniel Kunegel. « Avec quelque 700 salariés, nous avons depuis un moment passé un stade de développement intéressant. Il n’en reste pas moins que nous avons conscience de la nécessité de peser encore davantage pour être en capacité de réaliser des investissements de plus en plus lourds, en matière de technologie et de transition énergétique; pour pouvoir développer des expertises de plus en plus sophistiquées et attirer des compétences lourdes. »
Chacun dans son domaine, tant Daniel que Michelle se félicitent d’avoir convaincu des cadres de grandes entreprises nationales de les rejoindre comme collaborateur direct. Ils y voient un signe d’attractivité de leur entreprise pour des dirigeants qui veulent s’impliquer sans avoir à faire de reporting au siège dépersonnalisé.
Est-ce à dire qu’une nouvelle vague de rachats est sur le point de déferler? « Nous arrivons, je pense, à une nouvelle période d’interrogation pour les entreprises familiales qui ont des problèmes de succession ou qui ne peuvent pas faire face aux exigences de nouveaux investissements », estime le patron des Voyages Lucien Kunegel. « Pour autant, il n’y a aucune volonté de notre part d’accumuler un nombre de véhicules par une démarche hégémonique. Nous tenons trop au bon retour des clients, à la satisfaction qualitative. Nous réagirons face aux opportunités comme nous l’avons fait jusqu’à présent. »
La fratrie Kunegel préfère se concentrer sur leurs nouveaux projets. « Il faut faire preuve d’initiative et ne pas attendre que cela vienne des pouvoirs publics », insiste Daniel Kunegel. « Nous avons un problème avec les passagers qui arrivent à Colmar par le TGV. Beaucoup d’entre eux n’ont pas la possibilité de découvrir la Route des Vins si proche sans location de voiture. Nous avons donc imaginé d’opérer une forme d’Open Tour, comme à Paris », poursuit sa sœur Michelle. « Nous avons acheté deux véhicules à impériale décapotables pour partir de la gare, passer par la ville et surtout faire une boucle sur la Route des Vins, la première de France et valoriser ainsi les villages pittoresques non loin de Colmar. Le concept est baptisé Kutzig, une expression alsacienne qui peut se traduire par décoiffé, ébouriffé, comme le seront les passagers de l’impériale. »
Et pour la suite alors, une quatrième génération se prépare-t-elle dans l’ombre de leurs parents? Trois enfants, tant du côté de Daniel que de Michelle Kunegel, seront bientôt en âge de faire leur choix. Certains ont déjà mis un pied dans l’entreprise.
En chiffres
→ 350 véhicules
→ 700 salariés
→ 42 millions d’euros de chiffre d’affaires transport
→ 32 millions d’euros de volume d’affaires Tourisme pour 5 millions d’euros de marge brute
→ 2 brochures annuelles
→ 6 marques différentes