Avec 12 millions de visiteurs lancés à l’assaut de 17 000 monuments, les dernières Journées européennes du patrimoine ont confirmé l’intérêt des Français pour le patrimoine. Un succès dû notamment à des formats de médiation originaux ou participatifs que les visiteurs ont à cœur de retrouver au fil des saisons.
Le public d’aujourd’hui ne se contente plus de visites magistrales et de contemplation esthétique. Acteur privilégié de sa découverte, il cherche à s’approprier un bout de château ou d’histoire. Pour conforter ce public exigeant, et séduire les plus jeunes, châteaux, abbayes, manoirs… renouvellent leurs offres: visites costumées, jeux grandeur nature, spectacles, réalité virtuelle… De l’immersion, avant toute chose.
Un jardinier et un guide-conférencier qui dialoguent de concert avec un groupe de visiteurs sur la flore environnante. Une visite? Mieux, une balade participative où chacun s’instruit et réagit à la fois. La « Visite à deux voix » a été programmée dans les jardins du château du Clos-Lucé à l’occasion des dernières Journées européennes du patrimoine. « Mais elles ont eu tellement de succès que nous avons décidé de les inscrire au catalogue », se réjouit-on au service communication de ce site soucieux de transmettre l’héritage de Léonard de Vinci. Un cas exemplaire de château jamais en panne d’inspiration: le visiteur peut déjà expérimenter le pont tournant ou le bateau à aube inventés par Vinci, reproduits ici sous forme de maquettes grand format. Et en 2020, il aura accès à un nouvel espace immersif où les toiles du peintre seront projetées sur les murs et animées. L’expression « mettre le visiteur au cœur du dispositif patrimonial » est désormais à prendre au pied de la lettre! Tout est bon pour couper le cordon de velours séparant le public des trésors historiques: des visites théâtralisées où le quidam devient lui-même personnage, des cocktails privatisés dans des salons d’apparat, des jeux grandeur nature pour « vivre » l’histoire et mieux la comprendre, des restitutions virtuelles de décors à jamais disparus…
« Les groupes apprécient de plus en plus la visite augmentée d’un “plus”, l’exclusivité, les formats privatifs, les visites en dehors des horaires d’ouverture, constate Bénédicte de Baritault, directrice du développement économique au Centre des monuments nationaux. Dans un site patrimonial, ils veulent pouvoir se dire “Tout cela est pour moi”. » « Il n’y a plus aujourd’hui de produits touristiques sans expériences, remarque de son côté Thomas Desmurs, responsable de la promotion commerciale à l’Office de tourisme de Dijon. Atelier de dégustation de moutarde dans un bâtiment emblématique, visite théâtralisée dans le cœur historique de la ville…, le public veut sortir du contemplatif, pour sentir, toucher, manipuler, puis repartir avec un objet, gage de sa visite. C’est vraiment du tourisme expérientiel. À Dijon, notre triptyque gagnant combine patrimoine, culture et gastronomie. » Avec notamment un produit phare fort en convivialité: les « Lieux dits Vin », un atelier de dégustation de vins donné dans un site historique privatisé (musée, église…) et dévoilé à la dernière minute. Compter 3 000 € pour un groupe de 40 personnes. « Cela a un coût, admet Thomas Desmurs. Si l’on veut que l’expérience soit de qualité il faut aller chercher des experts, parfois ailleurs que dans le tourisme: des spécialistes du vin, de vrais comédiens et non des guides déguisés… ».
Dans les plus hautes sphères de la royauté, on innove aussi. Qui veut encore jouer des coudes dans la galerie des glaces de Versailles à l’heure de pointe? Alors que l’on peut profiter du circuit privé Sérénade, mené par des chanteurs. « L’animation, la mise en scène créent tout de suite une atmosphère différente pour le public », assure Stéphanie Koch, responsable du service groupes à l’Office de tourisme de Versailles, qui rappelle que le patrimoine de la ville ne se résume pas à son seul château. À Versailles, des sites historiquement chargés, fermés au public, ouvrent leur porte aux groupes, en privilégiés. « Depuis 2018, dans la salle du Jeu de paume, nous proposons des visites-conférences ludiques et participatives sur la Révolution française. Elles sont menées par un comédien qui joue Mirabeau et invite les visiteurs à lire (et à signer!) le fameux serment du même nom. »
Quant au château de Fontainebleau, le voilà transformé en terrain de jeu où les groupes n’ont que l’embarras du choix: visites-privilèges dans des salles hors circuit traditionnel (avec coupe de champagne dans une salle privatisée), visites-enquêtes, visites théâtralisées pour découvrir notamment le théâtre impérial et écouter, assis sur la scène, des extraits de pièces, ateliers de création de parfums, d’initiation à la danse baroque ou à l’escrime! « Notre professeur, un maître d’armes spécialisé en escrime historique, joue dans des films de cape et d’épée. Là, en tenue de mousquetaire, il fait une démonstration d’escrime de l’époque avant de proposer une initiation, raconte Nathalie Anielewska, chef du service marketing. Depuis deux ans, nous développons notre offre régulièrement, car le marché des sites historiques visitables est très concurrentiel. Le groupe attend chez nous une expérience globale, de quoi occuper une journée complète. Il pourra bientôt accompagner sa visite d’un escape game ou d’un déjeuner historique dans notre nouveau restaurant. »
En Indre-et-Loire, qui s’enorgueillit de deux sites magistraux, la cité royale de Loches et la forteresse royale de Chinon, le Comité départemental de tourisme, à l’écoute des autocaristes, a constitué un groupe de travail pour faire « remonter » les attentes des groupes. « Ils souhaitent des visites qui font participer tous les sens. Observation, dégustation, immersion… De quoi repartir avec des souvenirs, explique Isabelle Coquelet, à la direction de l’attractivité des territoires. Nous travaillons sur de nouvelles visites VIP pour groupes à l’horizon 2020, qui feront intervenir des prestataires locaux. Hors de question de proposer des activités hors sol, elles doivent être liées à l’histoire du château, à son architecture, à son territoire. »