Le tourisme doit être la solution au problème du réchauffement climatique, comme le clame Jean Pierre Nadir : « Notre mission consiste à baisser l’impact carbone tout en augmentant l’impact social au nom de la variable qui est celle de l’apaisement du monde »
Julien Devaureix interpellait son public en ouverture de la dernière convention du Cediv : « quelle est donc cette manière de jouer qui nous amène à réfléchir sérieusement à coloniser mars en même temps qu’elle pose la question de la fin de partie sur terre ? Réchauffement climatique, extinction du vivant…. À quoi jouons-nous ?
Diable … de quoi plomber l’ambiance dès l’ouverture de la convention.
Que faut-il faire ? Réformer le système financier….taxer le carbone… engager plus d’innovation, imaginer des batteries sans métaux rares, une économie bleu, verte… mettre en place les 17 objectifs de développement durable de l’ONU …
Oui, mais : si les états se mobilisent, ils restent empêcher par des accords contraignants et que la croissance du PIB demeure un objectif inscrit dans les traités…
Julien Devaureix laisse-t-il une porte de sortie ? Il fait nuit, je lève les yeux. En voyant les étoiles, je me dis que nous sommes des grands singes qui s’amusent sur une planète perdue au milieu de nulle part. Je respire.
En contre point, lors de sa conférence, Jean Pierre Nadir présente des alternatives vertueuses offrant une porte de sortie au secteur du tourisme accusé de tous les maux.
Quel est son crédo : « le tourisme ne doit pas être un problème, mais la solution. »
Soit, mais la solution pour quoi ? Le fondateur de FairMoove n’hésite pas à déclarer : « le tourisme est la solution pour sauver l’humanité. » Fichtre !
Sa démonstration se base sur un postulat inversé : « Si le fait d’arrêter le tourisme a pour conséquence de sauver l’humanité, Il n’y a plus de débat. Il faut immédiatement le stopper. C’est comme si un fumeur attrape un cancer à cause de la cigarette. La question ne se pose pas. S’il ne veut pas se suicider, il arrête de fumer. La logique veut que dans un acte de survie, il faut prendre les décisions qui s’imposent. Si le tourisme est le principal malheur du monde, il faut l’arrêter »
Mais comme, à l’évidence, le tourisme n’emporte pas avec lui toutes les causes de la finitude de notre monde, notre conférencier répond par la négative.
« Une simple observation sur la situation actuelle nous montre que le réchauffement climatique provient d’un ensemble de paramètres. Le tourisme n’en occupe qu’une part, en étant loin d’en être entièrement responsable. Par contre, s’il est de bon ton de dire que le tourisme : ça rapproche les peuples, c’est le partage, la découverte de l’autre, un facteur de paix, etc. Cette version poétique n’est plus adaptée. Elle ne résiste pas à la confrontation d’un monde qui meure. »
Jean Pierre Nadir se veut médiateur :« entre tout et rien, il y a une ligne de crête ». Il tente d’avancer avec des solutions réalistes, adaptées et concrètes en fustigeant ceux qui dénoncent sans rien proposer. Pour lui, il devient inutile voir totalement contre-productif de crier au désastre sans proposer d’alternative. Il proclame se ranger du côté des ‘’pour’’ et non des ‘’contre’’.
« Si Augustin de Romanet, PDG d’ADP en fin de carrière, préfère préconiser de faire voler moins d’avions pour s’acheter une bonne conscience vis-à-vis de ses petits enfants, il sort de son rôle ! On ne le lui demande pas ça. Pourquoi ce xxxx ne s’engage pas pour imposer une redevance pour les compagnies qui refusent d’installer des batteries dans les roues afin de ne plus utiliser les moteurs thermiques, de changer le modèle d’atterrissage gagner 5 % d’empreinte carbone, de favoriser les vols directs pour économiser 15% de kérosène, etc.»
Et de regretter que la seule parole qui porte est celle des opposants. Ils remportent haut la main le jeu de la communication. Par exemple en imposant l’idée que seulement les 20% de la population prennent l’avion ne sont que des nantis et des privilégiés ! « C’est plus facile de dénoncer que d’apporter des solutions. »
La polémique à propos des milliardaires l’illustre parfaitement : « Les opposants parviennent à expliquer que les 2/3 des émissions de CO2 sont le fait de 66 milliardaires. Ce chiffre est complètement bidon. Il est calculé en faisant porter un ensemble sur une seule tête, en affectant par exemple 100% de LVMH sur Bernard Arnaud. Personne n’est là pour prendre la parole et dénoncer cette mystification. »
Il est loin le temps où Jacques Maillot occupait le terrain pour porter la parole du tourisme au plus haut niveau. « S’opposer c’est plus facile que d’apporter des solutions. »
Interdire les jets privés ? Pour quelle finalité alors qu’ils pèsent pour epsilon sur l’empreinte écologique globale. « Il n’y a que des gens qui dénoncent, mais personne pour proposer d’alternatives ! » Jean Pierre Nadir préfère militer pour trouver des solutions pérennes. Le Bio carburant consomme 85 % CO2 en moins. Parfait. Mais nous ne parvenons pas encore à le produire en quantité suffisante et il coûte 4 fois plus cher : « il ne faut surtout pas interdire les jets privés, mais les obliger à voler avec 50 % de bio carburant pour développer la filière et faire baisser les coûts.».
Des solutions, toujours des solutions… d’où son crédo : « avant de se poser la question de savoir comment sauver la planète, il s’agit d’abord de commencer par sauver l’humanité. La terre, elle a encore 4 milliards d’années à vivre. Quoi qu’il se passe, elle continuera. L’humanité ce n’est pas sûr. Au tourisme de jouer ce rôle salvateur. C’est sa mission. On n’est pas là pour sauver le monde, on est là pour sauver l’humanité. »
Il explique : « dans notre monde actuel, il y a 3 milliards de personnes qui vivent peu ou prou avec 2 à 3 dollars par jour. Cette population regarde les 4 autres milliards qui vivent sur la planète sans quasiment aucune perspective à court ou moyen terme. Quel est l’avenir des 3000 étudiants qui sortent chaque année des universités de Dakar ? Aucun, si ce n’est d’apprendre à nager pour traverser l’atlantique en espérant survivre glorieusement dans une tente Quechua Porte de la Villette pour envoyer les ¾ de l’argent connecté dans leur pays. 1/3 de l’économie Sénégalaise, c’est Western Union. Si vous prenez Madagascar, c’est encore pire. La principale question qui nous interpelle est bien celle de l’emploi ».
L’emploi, cette pierre angulaire….
Et de rappeler l’ordonnancement du monde d’avant ou l’industrie palliait au besoin de la population. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : « dans ces pays où habitent ceux qui vivent difficilement avec 3 dollars par jour, l’emploi se fait rare. Avant il y avait des usines pourries affectées à produire des chaussures en masse avec des gosses. Tout ça c’est fini. Tout se fait par des machines qui travaillent pour beaucoup mieux, pour beaucoup plus vite et pour beaucoup moins cher ! »
Au tourisme de prendre le relai. Il détient tous les ingrédients pour sortir par le haut. Jean Pierre Nadir se justifie : « on est passé de bienfaiteur qui rapprochait les peuples à des salauds de pollueur sans savoir que répondre à ça. Le tourisme se trouve coincé uniquement sur cette question de CO2. Bien sûr notre mission consiste à baisser l’impact carbone,mais sans oublier d’augmenter l’impact social au nom de la variable qui est celle de l’apaisement du monde. Il faut tout réinventer. Le tourisme n’est pas le problème, mais la solution. Notre métier a un sens, une vocation qui fait le bien de l’humanité et pas son malheur ».
Rêve ou réalité ? Dans tous les cas, il s’agit de réorienter l’offre touristique dite de ‘’redistribution’’ par opposition à celle dite de ‘’prédation’’. Pour l’aérien tant décrié, commencer à opérer une péréquation pour développer l’économie localement. Seule solution pour : « créer un monde apaisé. »
Il compte le faire à partir du local, et ce sans attendre : « Il faut prendre le pouls du monde. On nous promet une exode climatique, alors qu’il y a déjà un exode économique. Pourquoi attendre ? Il y a urgence. Est-ce qu’il y a déjà des gens qui agissent ? Oui, je connais des hôteliers qui avancent dans les destinations et réinvente leur métier en direction d’un modèle vertueux ».
C’est quoi la réinvention de l’offre touristique ?
C’est un hôtelier qui va réhabiliter sa structure avec les normes environnementales d’aujourd’hui, de créer un bâtiment avec des matériaux de proximité, d’installer une ventilation naturelle pour éviter la clim, de produire de l’énergie propre et même la redistribuer autour de lui, de retraiter les eaux grises, etc. Mais surtout de s’imposer de nourrir 80 % de son buffet avec des produits locaux. Ça donne de l’emploi, ça crée de la richesse autour de lui, ça fixe les populations qui seront moins tentées d’aller polluer dans les villes… »
Rêve ou réalité ? Jean Pierre Nadir ne cache pas les énormes efforts à fournir pour changer les mentalités : « quand on est dans des pays où il n’y a pas d’orange, est-ce normal qu’il y ait du jus d’orange au petit déjeuner ? Pour les destinations riches en lychees, kiwi, fruit de la passion, Papaye, mangue…c’est un non-sens total. Comment défendre l’ailleurs sans mettre le gout de l’ailleurs ? Sortons des stéréotypes. C’est le rôle du professionnel du tourisme d’évangéliser. »
Mais il faut changer de paradigme. 80% des produits d’alimentation en République Dominicaine proviennent d’un seul fournisseur qui importe la plupart d’entre eux. « ne voudrait-il pas mieux aider les Haïtiens qui crèvent la dalle à faire pousser des légumes ? » Il poursuit : « quand on dit que le tourisme crée de l’emploi, c’est vrai et c’est faux. Quand c’est de l’emploi en Tunisie à 100 euros par mois pour une personne qui a comme seule préoccupation de savoir s’il va pouvoir nourrir sa famille le soir, qu’on ne me dise pas que le tourisme est bienfaiteur. Il est plutôt un exploiteur de la misère du monde. Mais si on aide les gens, qu’on les éduque, qu’on les paye mieux, alors là oui, on crée du bénéfice social. »
Valoriser et vendre les hôtels qui veillent l’intégration : « mettre la photo des producteurs locaus dans les hôtels. Programmer des visites, en vélo électrique, des fermes alentour avec un parcours pédagogique. Quand Jean Marc Jancovici dit : ‘’les touristes sont des glands qui ne sortent jamais de leur hôtel et n’apportes-en rien au bienfait du monde’’. Voilà son argument. Je conteste ça. Je m’oppose à cette idée. Le nouveau tourisme il est au contact. C’est un tourisme d’immersion. Un tourisme de proximité qui commence par les hôtels labélisés. »
Pas facile pour autant de s’y retrouver dans les 40 labels existant pour sélectionner le bon établissement. Le fondateur de FairMoove à sa méthode. Il évalue les labels les plus pertinents pour n’en retenir que 5 : Eco label européen, EarthCheck, ClefVerte, Travel life et GeenGlobe. « Nous avons étudiépour chacun d’eux, le poids des critères en termes de politique environnementale, de responsabilité sociale, de sensibilisation de la clientèle, de la gestion des sites, du foncier et du bâti, des ressources, des déchets, des achats, etc. À l’arrivée, le but est d’établir une grille de qualification de 120 critères qui permet d’apprécier le plus finement possible une stratégie écologique, une politique sociale, ou une application en matière de biodiversité. »
Et pour les incrédules qui critiquent la démarche en estimant que l’unité hôtelière pèse très peu dans la dépense de CO2, il s’énerve : « ceux-là n’y connaissent rien. Leur analyse repose sur l’étude de la France qui bénéficie d’un indice énergétique favorable 7 et 15 kilos l’unitégrâce au nucléaire. Mais pour Dubaï c’est 200 kilos l’unité. Vous voyez comme c’est important de prendre en compte cette mesure. »
Et de rappeler que c’est une démarche qui doit reposer sur l’ensemble des critères, à commencer par les destinations : « il y a des pays interchangeables, d’autre pas. J’aimerais voir Romanet avec sa petite pancarte expliquer à un musulman qu’il ne peut plus aller à la Mecque, because carbone ! Mais je peux remplacer l’Afrique du Sud, par la Tanzanie. Je passe ainsi de 4.5 tonnes à 3 tonnes. Si je ne veux pas faire autrement que d’y aller, je choisis un vol direct et un hôtel labélisé pour sa sobriété. »
D’où sa grande idée de remplacer les moteurs de recherche, qui s’affichent comme la principale porte d’entrée des actes d’achat dans le tourisme, par un calculateur. Ce dernier ayant pour fonction de déterminer le poids éthique du séjour comme aide à la décision. « Les comparateurs de demain seront les calculateurs qui donneront le meilleur rapport entre prix et empreinte carbone. » objectif : « Remplacer le prix par l’esprit »
Pour conclure, Jean Pierre Nadir rappelle les recommandations du GIEC qui représente un objectif sur lequel tout le monde tente de s’accorder : baisser de – 30 % à horizon 2030 pour atteindre la neutralité en 2050. On ne part donc pas de zéro. La démarche n’implique pas de ne plus voyager, mais à diminuer son empreinte dans l’ordonnancement ainsi défini, dans le transport, à destination et au niveau de l’hébergement. Pour cette cause, Adriana Michella, présidente du Cediv, en appel à Orchestra pour procurer à la distribution les outils dont elle a besoin pour disposer de repère et alimenter l’argumentation des agences. Et pourquoi ne pas commencer pour distribuer les circuits en totale immersion de ‘’Double sens’’ dont le mérite consiste à afficher clairement l’impact social des produits à destination ?
Sans oublier non plus de mettre de l’ordre dans le tourisme, avec une dose de sobriété. Il fulmine contre la prolifération des Low cost subventionnées par le contribuable pour des vols allant : « d’une ville improbable vers une autre ville improbable avec un prix improbable: ‘’Chérie demain on va Edinbourg. Ha ! c’est ou Edinbourg ? C’est en Écosse. Ha ! et pourquoi ? Parce que c’est 39 euros’’ avouez que c’est faible comme motivation. Pour qu’il y ait un tourisme responsable, il faut des touristes responsabilisés ».
Charge à Julien Devaureix de clôturer la convention. Exercice difficile, s’il en est, après une pareille démonstration !
Trouve-t-il, in fine, des raisons d’être optimiste ? Oui, mais elles sont à chercher à ’intérieur de l’homme en partant du principe qu’on ne change pas le monde de l’extérieur. Il s’agit pour cela de « travailler sur le discernement » tant il est vrai qu’en l’absence de cette démarche nous restons aveuglés par les miroirs de l’apparence. « C’est la seule solution qui nous reste si l’on veut sauver notre terre. Celle d’un engagement de tous en direction de l’éthique. Mais pour cela, il faut passer par le soi, le ‘’connais-toi toi-même’’ inscrit sur le fronton du temple de Delphes que Socrate popularisa ».
Julien Devaureix trouve dans la philosophie le dernier rempart pour préserver nos existences devant les menaces du changement climatique.
Mais le ‘’connais toi toi-même’’ ne semble-t-il pas trop réducteur devant les défis qui s’annoncent ? Assurément pas pour ceux qui connaissent la citation complète. Notre héritage cartésien l’a oublié. Dommage, car elle nous faire croire en l’homme et son pénitentiel.
Et vous, vous connaissez la citation complète du temple de Delphes ? la voici :
‘’connais-toi toi-même et tu connaitras l’univers et les Dieux’’
Rien de moins pour sauver le monde.
Merci Cediv
C’est pour la bonne cause, comme se plait à le dire Jean Pierre Nadir : « pour une humanité rassemblée et pas une humanité fracturée »