Interview de Bertrand Poey, Directeur Général d'Amadeus France
Tour Hebdo : Quelle est la situation aujourd’hui par rapport à NDC, sachant que le lancement de ce nouveau protocole est loin d’avoir apporté aux agences la productivité attendue ?
Bertrand Poey : Il faut être clair dans ce domaine, maintenant que les fonctionnalités de base Shop/Order/Pay sont couvertes. L’attente des agences de voyages, loisirs ou business, porte essentiellement sur l’après-vente. Sur ce point, parlons franchement : il y a 2 ans de cela, l’industrie avait encore du chemin à parcourir afin de couvrir ne serait-ce que certains cas d’utilisation de base, critiques pour les agences. Ceci explique, en très grande partie, la frustration de la plupart d’entre elles. Aujourd’hui, il existe encore des différences dans la manière dont une agence va gérer les réservations NDC d'une compagnie aérienne à l'autre, et certains cas concernant l’après-vente ne sont pas entièrement couverts par les compagnies aériennes ou par les outils d’agrégation de contenu. De plus, la différence entre les modes de gestion de l’après-vente des compagnies aériennes est énorme, ce qui constitue un défi. Même s'il reste encore quelques étapes à franchir, nous couvrons non seulement les cas d’utilisation les plus élémentaires, mais aussi les plus avancés. J'estime qu'en appliquant la règle des 80/20, nous avons à ce jour, dépassé les 80 % de fonctionnalités couvertes chez Amadeus.
Tour Hebdo : Pourtant la perception ne semble pas encore être celle-là, comment l’expliquez-vous ?
Bertrand Poey : La déception du début laisse des traces. C’est pour cette raison que je recommande une approche uniquement portant sur l’analyse factuelle des besoins des agences afin d’avoir une base commune. À partir de là, il devient possible d’évaluer sereinement ce qui fonctionne et de discuter de ce qui manque, pour ensuite combler les manques qui sont nécessaires. Pour ce faire, nous avons énormément collaboré et travaillé avec des agences, loisirs comme business, pour définir un set complet de scénarii d’utilisation afin de mieux cerner les pistes éventuelles d’amélioration.
Tour Hebdo : Reste que demeure cette revendication : ça marche moins vite qu’avant !
Bertrand Poey : Je ne peux pas laisser dire ça. Ce qui est vrai, c’est que le passage d’un écran cryptique à un écran graphique entraîne un changement dans la manière de travailler. Le temps pour rentrer un code pour la réservation d’un vol doit se comparer avec le temps gagné grâce à une interface ouverte. Cette dernière, dans le cadre d’un écran graphique, vous permet d’accéder, à portée de clic, à un ensemble de services bien plus large. Plutôt que « C’est moins rapide », je préfère dire que « au-delà de l’outil lui-même, c’est la manière de travailler qui est différente ».
Tour Hebdo : Pas si simple à faire comprendre…
Bertrand Poey : Si : avec Edifact vous avez rapidement une réponse, mais une seule. Avec NDC, votre requête demande un peu plus de temps, mais vous obtenez un large choix de réponses et de services associés. Ces dernières deviennent de plus en plus pertinentes selon l’ordre de vos choix : par prix ou par horaire que vous soyez une agence loisir ou business. Sans compter que de travailler dans un environnement familier ne nécessite pratiquement pas de formation, ce qui dans le contexte actuel de pénurie de personnel est un atout essentiel.
Tour Hebdo : N'y aurait-il pas au bout de la route des laissés pour compte ? avec des compagnies qui ne pourront pas suivre ?
Bertrand Poey : Nous n’allons pas nous arrêter là. Aujourd’hui, Amadeus met à disposition de ses clients 20 compagnies aériennes dont nous distribuons le contenu NDC en France* et nous allons en lancer plusieurs autres dans les mois qui viennent. Bien sûr, nous n’allons pas immédiatement couvrir en NDC les 1300 compagnies qui sillonnent dans le monde …. Déjà simplement parce que seule une quarantaine d’entre elles sont aujourd’hui certifiées niveau 3 ou 4 sur NDC et lancées en distribution dans le monde … et puis parce que c’est notre industrie dans son ensemble qui, sur le sujet, est encore à ce jour dans une période de transition.
Tour Hebdo : Comment Amadeus se situe-t-il par rapport à une nouvelle concurrence qui se présente avec des interfaces plus conviviales ?
Bertrand Poey : Je ne commente pas les offres du marché. À chacun de faire ses choix. Mais j’attire l’attention sur l’impératif de faire évoluer les systèmes en permanence. Rien que sur le standard NDC, nos solutions de distribution couvrent un spectre allant de la version 17.2 à la version 21.3, et 3 à 4 nouvelles versions du standard NDC sont disponibles par an ! Si aujourd’hui, nous sommes à un niveau presque équivalent à l’après-vente d’Edifact, c’est grâce à de constantes améliorations des fonctionnalités offertes par les compagnies aériennes ainsi qu’à notre capacité à les intégrer dans nos divers produits et interfaces graphiques pour les agents. Demain et après-demain, de nouvelles versions seront disponibles et les compagnies aériennes les implémenteront. Le véritable défi réside dans l’intégration avec les écosystèmes de nos clients, depuis la récupération des profils clients jusqu’à l’intégration avec leurs systèmes de back office … et ce, pour l’ensemble des acteurs du marché.
Tour Hebdo : Mais avec une certaine lourdeur…
Bertrand Poey : J’entends les critiques sur le manque d’agilité d’Amadeus. Si les agences nous le reprochent, c’est en fonction de constats qui remontent du terrain. Mais d’une part, notre rythme de release s’accélère et d’autre part nous apportons des garanties quant à la solidité du fonctionnement de nos plateformes sur le moyen-long terme. En 2022, nous avons investi 1 milliard d’Euros en R&D, dont une partie sur NDC. L’année passée, nous avons embauché 450 personnes dans notre centre technologique de la région Niçoise et comptons continuer cette année avec 350 nouvelles embauches. Nous avons conclu un partenariat solide avec Microsoft pour des opérations plus efficaces, mais aussi pour développer ensemble de nouvelles solutions. Les agences peuvent compter sur Amadeus actuellement et sur la durée.
Tour Hebdo : Que vous apporte le partenariat avec Microsoft ?
Bertrand Poey : Plus de flexibilité et de réactivité aux besoins des agences, et la possibilité de dimensionner notre infrastructure en fonction du besoin instantané de trafic. C’est le bénéfice de migrer sur le Cloud. Il s’agit pour la profession d’un gage de pérennité apporté par notre capacité d’évolution pour sécuriser l’avenir. De plus, Microsoft nous ouvre des univers d’investigation plus larges, avec, par exemple, l’intégration de notre solutions SBT pour les voyageurs d’affaires avec la suite bureautique Microsoft 365, pour faire de « Cytric Easy » un outil de collaboration entre voyageurs d’affaires absolument unique !
Tour Hebdo : Quel est votre positionnement par rapport au RSE ?
Bertrand Poey : C’est un sujet absolument clef … Pour nous-même d’abord ! À l’image de notre data center en Allemagne qui a atteint sa neutralité carbone dès 2019 … et nous nous sommes engagés à parvenir aux mêmes résultats en 2025 pour l’ensemble de nos opérations. Nous travaillons en collaboration avec des entreprises comme Choose, pour intégrer dans Selling Platform des modes de calcul de consommation de CO2. J’évoquerai également notre contribution à la Green Software Foundation afin de promouvoir des best practices métier pour aller dans le sens de l’économie responsable. Je terminerai par la volonté que nous avons eu de lancer et de cogérer l’initiative « Travel4Impact » qui regroupe des petites structures de notre industrie qui veulent se digitaliser et se lancer dans une stratégie RSE et qui souhaitent trouver de l’aide et des conseils à travers un réseau de partage et d’entraide sur le sujet.
Tour Hebdo : Pour terminer, en tant que principal fournisseur technologique de notre industrie, quels sont les chiffres du marché ?
Bertrand Poey : Selon nos résultats trimestriels du 1er trimestre, nos volumes de réservations pour l’aérien se situaient à environ 75% par rapport au même trimestre en 2019. Selon les derniers chiffres IATA, nous frôlons les 90% de réservations consommées par rapport à 2019. D’autre part, même si le nombre de réservations reste en dessous de 2019, le secteur et nos partenaires Agences de Voyages nous confirment que le panier moyen des voyageurs reste encore plus élevé qu’avant la pandémie.
Tour Hebdo : Et la différence entre loisir et affaires ?
Bertrand Poey : Le business travel, à périmètre constant prépandémique, reste en dessous de 2019, mais en même temps, le télétravail implique bon nombre de déplacements de collaborateurs relocalisés temporairement ou définitivement en province … déplacements rarement comptabilisés et pas toujours capturés par les agences. De plus, pour fédérer des équipes qui font moins de présentiel, nous assistons à une multiplication d’opérations événementielles de type « Meeting & Events » qui dopent ce segment.
Tour Hebdo : Le mot de la fin ?
Bertrand Poey : Notre cœur de métier c’est notre capacité à investir dans la technologie. Nous l’avons toujours fait, nous continuons et continuerons à le faire. C’est notre seule devise et c’est ce qui nous permet de garantir des solutions pérennes à nos clients et d’améliorer l’expérience de voyage.
*Liste des 20 compagnies aériennes dont Amadeus distribue le contenu NDC en France :
o Air France
o KLM
o American Airlines
o Avianca Airlines comprend 4 compagnies aériennes: Avianca, Taca, Avianca Ecuador, Avianca Costa Rica
o Finnair
o Iberia
o LOT Polish Airlines
o Lufthansa Group comprend 6 compagnies aériennes: Lufthansa, Austrian, Brussels Airlines, Air Dolomiti, and Eurowings Discover
o Qantas
o Qatar Airways
o Singapore Airlines
o British Airways
o Note : le niveau de contenu et les fonctionnalités disponibles varient d'une compagnie aérienne à l'autre.