Tant il est vrai que 2023 a été, principalement sur les dernières semaines de 2023, une bonne année boursière
Par Patrick Gautier du cabinet Gautier Patrimoine
Je vais commencer par vous souhaiter une excellente année 2024, qu’elle vous apporte santé, satisfaction et plénitude.
Aussi, pour ce premier point de marché 2024, je ne boude pas mon plaisir de reprendre une citation de Charles Franklin Kettering, ingénieur et homme d’affaires : « Le monde déteste le changement, c’est pourtant la seule chose qui lui a permis de progresser ».
Alors, souhaitons que 2024 soit une année d’engagement et non de passivité, pour changer ce qui doit l’être dans l’intérêt général, œuvrer pour le bien commun, 2024 sera ce que nous en ferons !
Avant de parler des marchés financiers, de l’inflation, de la croissance, gardons à l’esprit que le programme de cette nouvelle année est corsé. Une cinquantaine d’élections importantes se dérouleront dans le monde, et notamment l’élection présidentielle aux Etats-Unis. Elle sera une année sportive exceptionnelle avec les Jeux Olympiques chez nous, en France, l’Euro de football, le Vendée Globe et elle sera aussi une grande année maritime avec les Fêtes de Brest.
Mais c’est également en 2024 que nous fêterons le 80e anniversaire du Débarquement, l’occasion de méditer les leçons de l’Histoire qui nous éclairent pour penser le monde de demain.
Je fais également le vœu que l’on fasse un saut vers l’optimisme en évitant quelques écueils faciles. Je sais, je suis de nature optimiste. C’est vrai que c’est une disposition humaine naturelle que de penser qu’hier était meilleur qu’aujourd’hui, alors que rien n’est souvent moins vrai.
Certes, le rapport des jeunes générations à la valeur du travail s’est modifié et la réussite personnelle s’identifie moins exclusivement à la seule carrière professionnelle. En 2024, on veut davantage de temps libre pour réussir aussi sa vie privée et c’est une des raisons pour laquelle certains métiers sont soumis à une complète transformation.
Cependant, la France compte des jeunes formidables qui créent leurs entreprises, sont engagés dans la vie associative, font des études de plus en plus longues et méritent d’être soutenus.
Rappelons-nous le point marché du mois d’octobre dernier, je vous parlais de Robert SOLOW, et de son modèle : « Seul le progrès technique peut générer de la croissance économique ». SOLOW, on le connaissait pour ses travaux sur la croissance, qui avaient abouti au modèle de référence pour des générations de chercheurs. Il avait placé le changement technique au cœur de la dynamique économique. Avec lui, la capacité à produire des biens et des services à partir de capital et de travail devenait indépendante des autres variables clés, comme la croissance démographique ou le rendement du capital.
Mais SOLOW était également connu pour son paradoxe : « pourquoi la croissance de la productivité a-t-elle ralenti aux Etats-Unis dans les années 1970 et 1980 malgré l’essor des technologies de l’information au cours de cette période ? » Cette interrogation reste d’actualité pour la plupart des pays développés.
En effet, la plus grande révolution technologique du 20ème siècle (l’ordinateur) n’avait pas créé de boom de productivité et Solow avait ainsi conclu « productivity is everywhere except in the productivity statistics » soit en français : « Les ordinateurs sont partout, sauf dans les statistiques de productivité ».
Robert SOLOW, ce prix Nobel d’économie de 1987 est décédé à 99 ans le 21 décembre dernier et j’ai une pensée pour lui en ce moment puisque les économistes sont de plus en plus nombreux aujourd’hui à nous dire que l’IA (Intelligence Artificielle) va créer de la croissance et de la productivité. Cependant j’ai des doutes car l’économie est un sujet plus complexe et les déterminants de la croissance économique sont plus subtils.
L’IA générative va clairement révolutionner le travail de quelques personnes (ce sont les étudiants les plus heureux) mais son impact sur la croissance économique sera certainement le même que celui de l’ordinateur : il sera non mesurable et donc inexistant.
Il ne vous aura pas échappé non plus, que je fais très souvent référence à Warren Buffett dans mes points marchés. Mais Warren Buffett, en tant que président de Berkshire Hathaway, avait son alter-ego, vice-président de Berkshire Hathaway depuis 1978, Charlie MUNGER. Charlie Munger vient de mourir à l’âge de 99 ans et 11 mois le 28 novembre dernier.
Peu soucieux de ménager les susceptibilités, Munger dénonçait sans détours les dysfonctionnements du monde de la finance, des grandes entreprises et des institutions. Cela lui a tout de même valu d’avoir son propre fan-club constitué de quelque 3 000 inconditionnels de l’approche « Value ». La parole de Munger était toujours radicale. Ce n’était pas un homme de compromis, et il s’efforçait d’appréhender le monde comme un ingénieur ou un mathématicien. Les concepts des scientifiques ne laissent aucune place à l’espoir et à l’optimisme.
C’était un visionnaire en ce sens qu’il savait extrapoler les grandes tendances d’un futur lointain. Ainsi, le fabricant de voitures électriques chinoise, BYD, dont tout monde parle actuellement, présentait, il y a de cela 15 ans, des voitures à l’assemblée générale de Berkshire Hathaway. Pour autant il pouvait aussi se tromper sur toute la ligne et à titre d’exemple, en 2000, Munger considérait encore Internet comme un phénomène passager. La suite lui a donné tort…
Mais regardons quand même ce que nous réserve 2024 ?
Malgré les réticences d’une majorité de professionnels, les bourses mondiales ont fini l’année 2023 de bien belle manière, avec un bond de 16.5% du CAC 40 et une progression encore plus favorable du S&P 500 américain de 24%.
Mais cette évolution des grands indices cache de fortes disparités :
- Aux Etats-Unis, la progression des cours s’est concentrée sur les mastodontes de la cote les « Magnificient Seven » (Sept Magnifiques) Apple / Microsoft / Alphabet / Amazon / Meta / Nvidia et Tesla dont le poids boursier représente un niveau jamais égalé de 30% de la capitalisation du Standard & Poor’s 500
- A Paris, la concentration est tout aussi remarquable et l’indice Cac Small composé des plus petites valeurs, a fini l’année dans le rouge.
Alors, quels sont les choix pour 2024 ?
Nous observons toutefois une grande dispersion des anticipations des professionnels pour ce nouvel exercice. Si la grande majorité des investisseurs professionnels sont convaincus du recul de la croissance européenne, le débat porte davantage sur la conjoncture américaine. Le marché valorise aujourd’hui le scénario idéal d’un ralentissement en douceur avec un retour de l’inflation vers la cible de la FED à 2% et d’une baisse graduelle des taux directeurs dès le deuxième trimestre. Cette baisse du loyer de l’argent, qui assouplirait les conditions financières, est attendue en soutien des actions.
Le marché intègre une baisse de plus de 100 points de base aux Etats-Unis et dans la zone Euro à partir de mai ou juin prochain.
Mais là encore, les prévisions des économistes divergent très sensiblement, comme une absence de baisse aux USA pour Citigroup et un recul de 275 points de base pour UBS.
Il est vrai que jouer les prophètes de malheur fait vendre du papier et donne raison une ou deux fois par décennie, mais tort le reste du temps. Quant à jouer les prévisionnistes, c’est un jeu compliqué et assez aléatoire, pour preuve, l’économiste Joachim Klement a compilé les prévisions des stratégistes sur le S&P500 sur ces 20 dernières années et les a comparées avec la réalité.
Ces spécialistes sont toujours trop pessimistes, en tout cas sur les deux dernières décennies. Pire, si vous vous contentez d'utiliser ces données pour savoir si ça va monter ou baisser sur une année, les stratégistes n’ont raison que 52% du temps, ce qui revient presque à jouer à pile ou face.
A titre d’exemple : le pétole : L’approche macroéconomique « classique » considère que les secteurs de consommation sont négativement corrélés au cours du pétrole. En effet, sur le 4eme trimestre 2023 cette approche n’a pas fonctionné. Malgré que le cours du brent soit passé de 95 USD à 77 USD, les secteurs de la consommation n’ont pas surperformé (en tout cas pas en Europe).
L’échec concerne aussi l’approche qui consiste à dire qu’une baisse des taux soutient les actions de croissance. Si ça a marché pour le secteur de la « Tech », (Technologie) les secteurs santé et biens de consommation de base sont restés à la traîne au T4 2023.
Au niveau des pays, l’indice typique des valeurs de croissance « growth » en Europe est l’indice Suisse, le SMI. Or le SMI est l’un des rares en Europe qui affiche une performance négative en 2023. Ceci prouve encore une fois la limite de l’approche « macro ». En effet, la sous-performance du SMI vient de ses 4 grosses valeurs : Nestlé, Novartis, Richemont et Roche. Si on les exclut de l’indice celui-ci présente une tout autre performance, à savoir, supérieure à celle du Stoxx Europe 600 sur 1 an.
Cependant, les analystes bottom-up (ceux qui anticipent le parcours individuel des actions en fixant des objectifs de cours) font mieux. En se basant sur leurs anticipations pour déduire si l’année sera haussière ou baissière, il est possible d’avoir la bonne direction dans 72% des cas. Aussi, il est légitime de penser que s’ils sont pessimistes, les stratégistes doivent quand même arriver à prédire les mauvaises années. Eh bien pas du tout : ils anticipaient des hausses en 2008, en 2018 et en 2022, les trois plus mauvaises années récentes du S&P500.
Moralité, on peut continuer à lire les prédictions indicielles pour dans douze mois, pour peu qu’on prête surtout attention à la balance des risques et des opportunités qui les motive, car c’est là qu’est la vraie plus-value.
Mais quels sont les sujets qui animent les stratégistes en ce début d’année ?
Il y a deux sujets :
• Le timing de la première baisse des taux aux Etats-Unis et en Europe
• Le risque Politique lié aux très nombreuses élections dans le monde
En réalité, les taux ont déjà baissé (et ils ont mêmes commencé à remonter…) et les taux courts n’intéressent pas grand monde, si ce n’est les trésoriers des banques, les emprunteurs sur l’Euribor, et ceux qui ont profité des rendements des Comptes ou Dépôts à Terme. (N’hésitez pas à nous interroger nous avons mieux à vous proposer !)
En effet, ce qui compte pour l’économie et les marchés financiers, ce sont les taux à moyen long terme. Si l’on prend le taux swap à 5 ans comme référence, le mouvement a été très fort. Que la Fed ou la BCE baisse maintenant ou plus tardivement les taux n’a donc aucun intérêt, cela ne changera pas le niveau des taux à 5 ans.
A partir du moment où le combat contre l’inflation est gagné – et il l’est – la question du monétaire devient « anecdotique » et il faudra suivre les décisions des banques centrales lors de la prochaine récession.
Pour le second sujet, le risque politique lié aux nombreuses élections, sans faire de provocation, je me demande combien de personnes dans notre métier connaissent le nom du ministre de l’Économie en Italie, en Espagne, au Royaume-Uni ? Qui se présente en face de Narendra Modi cette année et quelle sont ses idées ? Quel est le nom du président actuel d’Indonésie ?
Personnellement, je ne sais pas répondre à ces questions et je ne vois pas pourquoi cette incertitude serait un risque pour les marchés financiers. Est-ce que les présidents actuels en Afrique du Sud, au Mexique ou en Indonésie ont été des facteurs de soutien aux marchés financiers ? En quoi leurs opposants risquent-ils de faire moins bien ?
En revanche, les élections aux Etats-Unis seront à suivre car nous parlons de la première économie mondiale.
Pour conclure, je vais citer Henri BERGSON « L’avenir n’est pas ce qui va arriver mais ce que nous allons faire » ensemble !