
Tribune rédigée par M. Harry Theoharis, ancien ministre du Tourisme de Grèce et candidat au poste de Secrétaire Général de l’ONU Tourisme qui propose une approche collaborative pour soutenir durablement le secteur touristique
Parcours et point de vue
Avant de rejoindre la fonction publique, j'ai travaillé pendant des années en tant qu'ingénieur logiciel, dirigeant des projets de transformation numérique et d'analyse de données pour de nombreuses organisations complexes.
En tant que ministre du Tourisme, à une époque où il était pratiquement illégal de voyager, ma réaction naturelle a été de baser ma stratégie sur les données et la technologie. En réfléchissant à cette expérience, je suis de plus en plus convaincu que la technologie moderne, et en particulier l'analyse de données massives et l'intelligence artificielle prédictive, sont essentielles à la résilience des destinations touristiques. La résilience dans le tourisme n'est pas un concept passif – elle se construit par la prévoyance, la prise de décision éclairée et l'adaptation continue. Plus précisément, selon moi, la résilience se construit en quatre phases clés :
-la préparation
-la gestion
-le rétablissement
-l'adaptation permanente
L'analyse des Big Data joue un rôle central dans chacune de ces phases, en offrant des perspectives et des solutions qui nous permettent de mieux gérer les risques connus et inconnus.
Partager des connaissances et collaborer
En tant que leader de la communauté mondiale du tourisme, il est de la responsabilité de l’ONU Tourisme de renforcer la résilience du secteur touristique mondial en facilitant l'accès aux données critiques ainsi qu’aux meilleures pratiques, de manière équitable, et ce pour tous les États membres.
C'est pourquoi je plaide en faveur de la création d'un Centre de Données pour la Résilience du Tourisme ; un centre de données centralisé conçu pour collecter, analyser et diffuser des données qui aideront les pays, en particulier ceux des régions vulnérables, à améliorer leur préparation et leur réponse aux crises du XXIème siècle.
Fonctionnement de ce Centre de Données pour la Résilience du Tourisme
Un tel Centre de Données serait une ressource puissante, fournissant une plateforme où les États membres pourraient accéder aux données les plus récentes, aux prévisions et aux informations sur divers risques touristiques, y compris les événements liés au climat, les ralentissements économiques, les crises sanitaires et les défis géopolitiques. En mettant en commun les ressources et les données provenant de diverses sources, que ce soit les gouvernements, le secteur privé, les ONGs ou les institutions de recherche, l’ONU Tourisme pourrait servir de répertoire de meilleures pratiques, de modèles prédictifs et d'outils de gestion des crises qui pourraient être utilisés par les pays du monde entier.
L'une des principales fonctions du Centre de Données serait de surveiller les indicateurs clés du tourisme, notamment les arrivées de touristes, la capacité aérienne, les réservations et annulations, l'impact économique, ainsi que les indicateurs environnementaux et sanitaires, et de rendre ces données disponibles en temps réel.
En tant qu'agence des Nations Unies, l’ONU Tourisme s’efforcera d’échanger des données et des informations avec d'autres organisations des Nations Unies telles que l'Organisation Mondiale de la Santé. Cela permettrait aux destinations de détecter les menaces émergentes et d'optimiser l'allocation de leurs ressources en réponse.
Par exemple, une petite nation insulaire des Caraïbes pourrait bénéficier de données météorologiques en temps réel et d'analyses prédictives concernant les vagues de tempête ou les ouragans, tout en accédant également aux données de flux touristiques ou de capacité pour évaluer comment une tempête pourrait affecter leur secteur avant qu'elle ne frappe.
Un autre exemple pertinent serait le suivi en temps réel des sentiments exprimés dans les publications sur les réseaux sociaux, croisé avec les données en temps réel des recherches et des réservations de vols. Cela permettrait d’évaluer l’impact réel des turbulences sociales sur l’attractivité d’une destination pour les touristes et d’analyser comment cet effet varie selon les marchés.
Le Centre de Données sur la Résilience de l’ONU Tourisme ne se contenterait pas de fournir des données ; nos consultants internes et externes seront aussi en charge d’interpréter les informations et de fournir aux États membres des plans stratégiques basés sur des données exploitables.
Une entraide mondiale
Nous devons nous efforcer de fournir une plateforme pour l’échange de connaissances entre pairs et soutenir activement des forums et événements afin que les pays puissent partager leurs propres expériences fondées sur des données, les leçons tirées des crises et les stratégies de reprise réussies, afin de favoriser une culture mondiale de la résilience.
L'un des principaux avantages de cette approche collaborative est qu’elle permettrait aux pays d’éviter de repartir de zéro en période de crise et de travailler ensemble pour mettre en œuvre des solutions éprouvées et fondées sur des données. Le Centre Mondial de Résilience du Tourisme et de Gestion des Crises a déjà ouvert la voie à cette collaboration mondiale, et l’ONU Tourisme devrait intensifier ses efforts pour en faire une réalité.
Les acteurs impliqués
L’ONU Tourisme est la seule agence des Nations Unies où le milieu académique et les entités du secteur privé peuvent soutenir les États membres en tant que membres affiliés. Cette adhésion affiliée regroupe certains des talents les plus brillants en matière de recherche, d'entreprises technologiques, d'opérateurs touristiques et d'institutions multilatérales. Pourtant, la direction actuelle de l'ONU Tourisme n'exploite pas pleinement ce réservoir de connaissances.
Nos membres affiliés détiennent également une richesse de données à partager, puisqu'ils comprennent des agences de voyages en ligne, des compagnies d'assurance, des fournisseurs de transport, ainsi que des entreprises technologiques et de données. Les institutions académiques et les organisations de recherche peuvent apporter leur expertise en science des données, en modélisation climatique et en économie du tourisme, assurant ainsi l'exactitude et la pertinence des informations. Nous disposons déjà de l'expertise nécessaire pour collecter, analyser et interpréter ces données ; il ne manque plus qu'une gestion de projet professionnelle et un leadership pour faire en sorte que cela devienne une réalité.
Le financement
L’ONU Tourisme devrait également jouer un rôle clé dans le financement de ce projet, en mobilisant des investisseurs institutionnels, privés et publics pour soutenir la recherche et le développement d'outils d'analyse de données avancés, capables de mieux prédire, répondre et gérer les crises futures. Un financement adéquat, associé à la rapidité et à l’agilité dans l’allocation des ressources là où elles sont nécessaires, est essentiel pour renforcer la résilience des États membres. C’est pourquoi je propose la création d'un Fonds Mondial de Résilience du Tourisme, afin d'assurer un soutien durable et efficace.
Une stratégie mondiale basée sur les données pour la résilience du tourisme
De nombreux facteurs externes affectent le tourisme mondial et les Big Data, combinées à l'IA prédictive, peuvent être appliquées à chaque pilier de la résilience : la préparation, la gestion, le rétablissement et l’adaptation continue des produits et des processus. Les données peuvent sauver des vies et des moyens de subsistance. L'un des défis les plus urgents auxquels le tourisme est confronté aujourd'hui est la crise climatique. Le climat est un phénomène mondial, mais ses effets sont particulièrement ressentis par les Petits États Insulaires en Développement (PEID), pour lesquels l'élévation du niveau de la mer, les phénomènes météorologiques extrêmes et la dégradation de l'environnement mettent déjà en péril le présent et l'avenir du tourisme. Pour protéger à la fois notre environnement et notre économie, nous devons appliquer des stratégies sophistiquées fondées sur des données pour renforcer la résilience. Le Big Data peut jouer un rôle transformateur dans l'atténuation et la gestion des crises et même au-delà.
La création d'un Centre de Données sur la Résilience du Tourisme, co-créé par l’ONU Tourisme et le Centre Mondial de Résilience du Tourisme et de Gestion des Crises, et financé par un Fonds de Résilience d'ONU Tourisme, constituerait une étape transformatrice vers la construction d'un secteur touristique mondial plus résilient. En exploitant la puissance du Big Data et en permettant la collaboration transfrontalière, nous pouvons nous assurer que les nations sont mieux préparées aux crises climatiques et autres défis, réduisant ainsi l'impact de ces événements sur le tourisme, les économies et les communautés locales.
Alors que l'industrie du tourisme fait face aux défis du changement climatique et des crises à venir, je crois qu'il est temps de coopérer à l'échelle mondiale grâce à des initiatives comme le Centre Mondial de Résilience du Tourisme et de Gestion des Crises, la Conférence Annuelle Mondiale sur la Résilience du Tourisme et un Centre de Données sur la Résilience du Tourisme co-créé par les Nations Unies. Nos efforts conjoints soutiendront la croissance et la durabilité du tourisme et renforceront la résilience des communautés qui en dépendent.