Maria MERCANTI-GUERIN jette un pavé dans la mare en prédisant la chute future d'Internet. Une prise de recul salutaire sur les dérives et l'avenir du Web
Le Web donne tous les signes d’une crise multiforme. Les récents licenciements pratiqués dans le secteur, le ralentissement des résultats des poids lourds du marché, le réveil de la société civile sur les dangers du numérique accélèrent sa déstabilisation.
Un législatif plus restrictif, une transition énergétique difficile rendent impossible la survie d’un Internet purement publicitaire et marchand.
Alors que les IA génératives menacent de remplacer l’humanité sur le Web, la réalité du marketing digital, des fake news et de l’impact des influenceurs, tant en Occident qu’en Chine, préoccupe.
À travers une exploration minutieuse des promesses économiques non tenues, des stratégies de sur-monétisation, des effets de la publicité sur l’attention, Maria MERCANTI-GUERIN, maître de conférences à l'IAE de Paris, dévoile dans "Web Crash" le côté sombre de l’Internet tel que nous le connaissons.
Plusieurs voies de mutations radicales sont possibles : un cyberespace uniquement dirigé par Amazon, un réseau fusionné avec tous les médias, ou encore un espace de surveillance constante.
Un livre en couleur, riche en schémas et illustrations, à mettre entre toutes les mains pour mieux anticiper l'avenir d'Internet et des réseaux sociaux.
Extrait
Le Web d’aujourd’hui se caractérise par de multiples problèmes qui peu à peu entachent sa réputation et pourraient, à terme, détruire la confiance des an-nonceurs en lui. Plus de 40 % des adultes américains utilisent des bloqueurs de publicité. Les visibilités des campagnes sont menacées. Le paysage des données est en plein bouleversement. Les cookies tiers (ces cookies publicitaires qui se chargent sur nos navigateurs) devraient bientôt disparaître et leurs rempla¬çants ne sont pas encore choisis par un marché en plein doute. Il est de plus en plus difficile de suivre les performances des campagnes, rendant l’évaluation du ROI (retour sur investissement) compliquée. Les pressions réglementaires s’accroissent. Le RGPD (règlement général de protection des données) dessine un paysage de traitement des données plus strict.
Par ailleurs, bien que les données soient bon marché, convertir des pros¬pects ne l’est pas. Par exemple, un CPC (coût par clic) élevé sur des plate¬formes comme Facebook ne garantit pas les conversions. La complexité de l’achat média s’accroît et dépossède annonceurs et agences du monitoring de leur campagne. La fraude au clic, entraînant des pertes considérables, est en augmentation. Près de 27,7 % du trafic en ligne provient de bots malveillants. Ces bots peuvent voler des données, détourner des magasins e-commerce, et entraîner des pertes financières pour les entreprises.
Quant à la publicité programmatique, elle peut compromettre l’image des entreprises du fait de l’intégration des annonces dans des environnements peu appropriés. Par ailleurs, elle multiplie les intermédiaires. La fusion du contenu généré par les utilisateurs et des influenceurs auto-proclamés gène le position-nement des marques. Les faux influenceurs ont entraîné des pertes considé¬rables pour les marques en 2022. Enfin, l’engagement réel des influenceurs est masqué par des actions automatisées.
Pour prospérer, les annonceurs doivent naviguer habilement dans cet envi-ronnement instable, en veillant à ce que la créativité, la transparence et un enga¬gement authentique soient au cœur de leurs stratégies. Or, ils n’ont souvent plus les possibilités de décider de ces dernières. Les marques, comme Nike, ont créé leurs propres écosystèmes en capitalisant sur la force de leurs communautés, réduisant ainsi leur dépendance aux plateformes externes. Mais le cas Nike n’est pas généralisable à toutes les marques.
Le marché chinois est devenu un formidable réservoir d’inspiration. Commerce social, Live Shopping Social représentent de nouveaux eldorados. Mais, en Chine, si des taux de conversion atteignant près de 30 % ont été obser¬vés, les taux de retour sont encore plus élevés ! Le digital chinois confronté à une reprise en main gouvernementale risque d’être beaucoup moins commer¬cial dans les années qui viennent.
Ces problèmes ne sont pas isolés et pointent vers une fragilité plus large dans l’infrastructure du Web. Notre ouvrage aborde ces défis comme les symptômes d’une maladie plus profonde, explorant comment ces fissures dans la fondation du numérique pourraient mener à un effondrement plus vaste du Web. Pour que la communication digitale reste efficace, les annonceurs doivent éviter de suivre aveuglément les tendances sans les comprendre. La compréhension des nouvelles technologies, comme les IA génératives, est essentielle, mais elles ne doivent pas remplacer l’humain.
En effet, l’hypothèse d’un éclatement du Web est plus que probable. La Chine, l’Inde, la Russie, l’Afrique n’ont déjà plus le même Web que l’Europe et les USA. L’idée d’un outil rassemblant les peuples avec une vocation uni¬verselle de partage de la connaissance n’est plus d’actualité.
Un livre écrit par une spécialiste des sujets numériques
Maria Mercanti-Guérin est maîtresse de conférences à l’IAE de Paris où elle enseigne le marketing digital. Elle est directrice de recherche, docteure en sciences de gestion et autrice d’ouvrages sur la publicité digitale.
En 2018, elle a créé Beabilis, un cabinet de prospective sur les usages du numérique. L’avènement d’un Web engagé, éthique et résilient est également possible à condition de modifier radicalement le Web d’aujourd’hui.