Ces 30 dernières années, le tourisme s’est vu affublé de nombreuses terminologies afin que le secteur ou certains marchés s’alignent aux enjeux de développement durable. Après l’équitable, le communautaire, le responsable et le durable, voilà un nouveau tube dans les bacs : le régénératif. Au-delà de l’arrivée d’un nouveau buzzword dans l’univers du tourisme éco-responsable, que se cache-t-il réellement derrière ce terme ? Une révolution dans le tourisme et dans le voyage ? une belle utopie ? ou simplement du marketing pour rendre un peu plus « sexy » ces formes de voyage ? Tour d’horizon.
Retour sur 30 ans de transition : de l’équitable au régénératif
Même si l’on parle beaucoup de durabilité du tourisme ces dernières années, les enjeux autour du développement durable appliqués au secteur du tourisme ne datent pas d’hier.
C’est en 1988 que l’Organisation Mondiale du Tourisme UNWTO a défini officiellement le tourisme durable (Sustainable tourism) en le qualifiant d’un tourisme qui tient pleinement compte de ses impacts économiques, sociaux et environnementaux actuels et futurs, en répondant aux besoins des visiteurs, des professionnels, de l’environnement et des communautés d’accueil.
Avant cela, on avait déjà entendu parler d’autres formes de tourisme engagé comme l’écotourisme (dans les années 80) ou le tourisme dit communautaire (dans les années 70) en poussant des enjeux spécifiques sur certains aspects comme la préservation du vivant ou l’implication des populations locales.
Suite au Sommet de la Terre de 1992 à Rio, on a commencé à voir apparaître des initiatives et des engagements en France en particulier par le secteur du tour operating. Ainsi, la Charte Éthique du Voyageur, document fondateur de l’association ATR – Agir pour un Tourisme Responsable – a été créé en 1995 lors d’un voyage en Tanzanie avec le voyagiste Atalante.
On a ensuite vu arriver l’association ATES – Association du Tourisme Equitable et Solidaire puis l’association ATD – Acteurs du Tourisme Durable – qui a pour objectif de rassembler justement l’ensemble des métiers et des acteurs autour d’un mot ombrelle.
Depuis, l’ensemble du secteur et tous les métiers se sont mis en marche pour intégrer les enjeux de développement durable dans les process, la gouvernance et l’offre touristique.
Tourisme régénératif : quelles promesses ?
Depuis peu, on nous parle de tourisme régénératif. Le terme de « tourisme durable » ne serait pas assez joli ou vendeur. Ce mot est déjà dépassé, galvaudé. Il faut voir plus grand et plus fort : la régénération pour dire qu’il est nécessaire que le tourisme fasse plus de bien que de mal.
Mais que se cache-t-il derrière ce terme de régénératif ? Cet adjectif ne vient pas du monde du tourisme. Il faut regarder du côté de l’économie dite régénérative qui peut se comprendre comme un modèle économique qui viserait à lutter contre l’usure, la détérioration ou l’épuisement des ressources. Au départ, on pense les ressources naturelles en premier lieu mais on peut aussi y intégrer l’humain voire l’économie via le tissu économique à reconstituer sur un territoire.
Ce terme d’économie régénérative fait aussi écho aux travaux de la Fondation Ellen MacArthur sur l’économie circulaire ou encore à l’ouvrage d’Isabelle Delannoy sur l’économie symbiotique avec le sous-titre : régénérer la planète, l’économie et la société.
Concrètement, l’économie régénératrice serait donc une économie fondée sur le renouvellement des ressources dont elle a besoin voire au-delà. Ainsi, le tourisme dit régénératif serait un tourisme qui permet le renouvellement de ressources dont il a besoin, que ce soit sur l’environnement (impact climatique, biodiversité, qualité de l’air, etc.), sur le social (culture et patrimoine local, populations locales, qualité de l’emploi, inclusion) et sur l’économie locale (équilibre des retombées en local, etc.). C’est beau mais est-ce réalisable ?
Utopie ou réalité ?
Oui, la notion de tourisme régénératif est très prometteuse. Or, elle doit s’appuyer sur des repères objectifs. C’est une vision (presque une utopie) porteuse de sens qui vise à transformer en profondeur le secteur du tourisme, afin de le rendre compatible avec les limites planétaires.
Néanmoins, certains acteurs (dont je fais partie) redoutent que ce tourisme régénératif soit une manière de réhabiliter le tourisme et le voyage (en particulier lointain) sans attaquer en profondeur les fondements du tourisme capitaliste qui s’est construit au fil des 30 dernières années. En effet, on peut faire référence aux grands débats autour de l’écologie politique et de sa traduction sur le tourisme. Ne doit-on pas remettre en question la croissance du secteur et l’accumulation (de voyages, de selfies, d’émissions de CO2) dans le tourisme moderne ?
Ainsi, pour une entreprise du secteur, il est nécessaire de repenser globalement son modèle économique quitte à sortir parfois du champ du tourisme. Tant qu’une entreprise de bateaux mouches sur la Seine se définira autour de la proposition unique de croisières aux touristes, ses marges de manœuvre seront très étroites pour penser sa transformation en régénératif. Cette entreprise devra forcément repenser son action autour d’une autre utilisation de ses bateaux, que ce soit pour le transport des habitants ou pour une optique totalement différente (génératrice d’énergie, analyse de la qualité de l’eau, etc.).
La place de la donnée et du monitoring pour mesurer la régénération
Dans le dossier rédigé par la Convention des Entreprises pour le Climat, il est écrit :
« Régénérer, c’est aller au-delà de la réduction d’impacts négatifs ou de leur neutralisation pour s’engager vers la génération d’impacts positifs nets pour les écosystèmes et la société. » Par exemple, l’entreprise américaine Guayaki, qui vend des boissons énergisantes à base de maté, a mis en œuvre un modèle économique de reforestation de la canopée atlantique, régénératif de la biodiversité et séquestrant une quantité de carbone largement supérieure à celle émise par les activités de l’entreprise, tout en offrant de multiples bénéfices sociaux aux populations locales.
Pour s’assurer de la réussite de tels objectifs, il est nécessaire de suivre, de piloter, de monitorer les objectifs que l’on se fixe. On ne peut pas faire du régénératif sans données et tableau de bord !
Exemples et contre-exemples.
Depuis peu, le groupe Pierre & Vacances Center Parcs s’intéresse à la question du régénératif. Au sein du rapport de la CEC, voilà la question qui est posée pour le groupe : « Comment Pierre et Vacances Center Parcs peut participer de la transition écologique des territoires où sont implantés ses sites, en assurant à ses clients des séjours bas carbone et reconnectés à la nature et à la richesse naturelle et culturelle, et à la vie de chaque terroir? »
Pour les nouveaux projets Center Parcs, il y a désormais cette volonté de mesurer l’évolution de la qualité de la biodiversité du démarrage des travaux à la fermeture / réhabilitation du site. Un travail d’expertise nécessaire et pragmatique pour développer ce tourisme régénératif.
A côté de cela, on peut voir des agences de voyage ou autres réceptifs spécialisés en tourisme régénératif. On peut se poser la question de la pertinence et de la réalité même de la régénération ambitionnée. Sur les sites Internet, on constate des beaux engagements sur la préservation de l’environnement au niveau local, sur l’implication des populations locales mais aucun chiffre.
L’ATES – Association du Tourisme Equitable et Solidaire – promeut un tourisme de sens au contact des populations locales tout en préservant l’environnement depuis 30 ans et ils n’ont jamais appelé cela du tourisme régénératif. Attention donc de ne pas vouloir inventer l’eau tiède juste par différenciation marketing!