À en croire les commentaires plus ou moins avisés dans les dîners en ville, où les experts de l’expertise sévissent en toute impunité, le monde serait en voie « d’ubérisation ». Un terme utilisé à tort et à travers. On lui attribue au pire un vague rapport avec le « digital » (pas trop risqué), au mieux une référence à la transformation des relations employeur-employé-client sous l’effet de la transition numérique. Bref, même si le rabâchage de l’expression constitue la plus grande campagne de pub jamais orchestrée gracieusement pour une entreprise privée, on en oublierait presque que l’ubérisation fait référence au modèle d’organisation d’un service de voitures avec chauffeurs… Car c’est bien d’organisation du travail qu’il s’agit. Pour conceptualiser le terme, certains évoquent désormais la notion de « plateformisation ». Pas très sexy, mais assez claire, elle souligne l’idée que les plates-formes du Net torpillent les organisations traditionnelles, en permettant à tout un chacun de mettre sa force de travail à la disposition d’un client direct, par l’intermédiaire d’un employeur/plate-forme de façon quasi instantanée et géolocalisée. On n’a pas fini de mesurer les effets positifs et négatifs d’une telle mutation. Dans le tourisme, hormis les conséquences déjà massives et palpables pour les taxis et le secteur de l’hébergement (Airbnb et consorts sont aussi passés par là), se profilent de nouveaux modèles d’organisation, déjà répandus aux États-Unis : le home agent (ou agent de voyages à domicile) constitue peut-être un début de révolution pour la profession (lire p. 23 et 24). Dommage qu’en France l’absence de débat sur la loi travail ait empêché de se poser les bonnes questions en amont et de mettre tous les sujets (formation initiale et continue, salaire, contrat de travail, subordination, précarité, flexibilité… et j’en passe) sur la table. Les enjeux sont colossaux, et le tourisme n’échappe pas à la disruption en cours. En constatant l’inadéquation entre recherches et offres d’emploi (lire notre dossier p. 30 à 37), on se dit que le chemin va être long. Mieux vaudrait l’emprunter sans attendre…