La question agite le secteur du tourisme depuis plusieurs semaines. Les compagnies aériennes ont-elles le droit d’imposer à leurs passagers un avoir quand leur vol est annulé ? Tour Hebdo a posé la question à Emmanuelle Llop, avocate spécialiste en droit du transport aérien.
Les annonces des compagnies aériennes sur le sujet se multiplient. Hier encore, la compagnie Transavia a informé les passagers de l’annulation de tous ses vols entre le 21 mars et le 3 juin inclus tout en ajoutant que « Tous les clients des vols concernés recevront automatiquement avant la fin du mois de mai un avoir correspondant à la valeur totale de leur réservation. Cet avoir sera utilisable une année pour un nouveau voyage sur les lignes de Transavia. Il n’est pas nécessaire de contacter notre service client. »
Cette pratique de l’avoir automatique a fait beaucoup réagir les patrons d’agences de voyages, de tour-opérateurs ou encore de comparateurs comme Nicolas Brumelot, signataire de plusieurs lettres ouvertes adressées à l’Iata et au gouvernement français, Fabrice Dariot (Bourse des Vols) ou encore Jean-Pierre Mas (Entreprises du Voyage).
Une colère légitime puisque l’émission automatique d’avoirs est illégale, explique Emmanuelle Llop, fondatrice du cabinet Equinoxe Avocats et spécialiste du droit du transport aérien. « Les compagnies n'ont pas obtenu en France la même dérogation (que celle acquise par les voyagistes, ndlr) leur donnant la possibilité d’imposer au passager un avoir au lieu du remboursement des billets annulés pour cause de circonstances extraordinaires. »
En cause, le fameux règlement 261-2004 qui régit les conditions d'indemnisation et d'assistance des passagers. « Les États membres ne peuvent directement [le] modifier », souligne l’avocate du tourisme. « Contrairement à ce que l’on a pu lire ou entendre, le principe est le remboursement automatique du passager, sous 7 jours, en numéraire (espèces, chèque ou virement) tandis que l’avoir ne peut être mis en place que sur accord du passager. »
Le fonds de garantie d'abord, les avoirs ensuite
L'obtention de l’accord du passager implique donc que la compagnie le contacte « ou, plus logiquement et par respect de leur rôle et du contrat de vente de billetterie, les agences et les TO qui ont acheté les vols pour les intégrer dans leurs packages, qu’ils soient IATA ou non, pour négocier l’avoir au lieu du remboursement ». Si certains transporteurs négocient l'utilisation des avoirs, d’autres l’imposent purement et simplement à leurs clients.
Une situation qui passe mal et dont se sont saisis 105 députés français. Ces derniers relèvent « qu'en dehors de toute dérogation au règlement européen […] de nombreuses compagnies aériennes imposent à leurs clients et aux agences de voyages, lorsque le vol est annulé et non volé, des avoirs de durée variable ». Or, « connaissant les difficultés de trésorerie actuelles de nos entreprises du transport aérien, la pratique des avoirs par les compagnies aériennes ne peut être acceptable que si, et seulement si, elle est encadrée et garantie. »
Ils appellent donc la Commission européenne à « mettre en place d'urgence un "fonds passagers" garantissant aussi bien les voyageurs que les agents de voyages ». Un fonds également réclamé par l’UFC-Que Choisir.
« Cette option de l’avoir ne pourrait évidemment être acceptée que si les transporteurs présentaient les mêmes garanties que les professionnels bénéficiant d’une garantie financière », quelle qu’elle soit, abonde Emmanuelle Llop. « Mais ce n’est pas vraiment le cas pour l’aérien... Voilà pourquoi les professionnels du tourisme comme les passagers réclament l’application stricte du règlement et le remboursement des billets non volés. »