Mercredi, c'est permis ! Thierry Beaurepère est de retour pour vous faire part de son humeur du moment. Et cette semaine, il revient sur l'impact du coronavirus sur le secteur aérien, déjà fragilisé. Et pointe les différences entre les transporteurs américains et les autres.
Le tourisme est une grande famille, qui adore qu’on la flatte. En revanche, quand la presse professionnelle n’est pas qu’un faire-valoir mais remet en perspective les stratégies, se permet de pointer les défaillances de quelques-uns de ses membres, les réactions sont parfois épidermiques. Ainsi, ces dernières semaines, cette chronique m’a valu plusieurs volées… de bois vert. Alors aujourd’hui, j’ai décidé d’éviter (un peu) les ironies et de prendre de la hauteur en parlant transport aérien. Voila qui devrait me valoir quelques jours de répit, ou pas !
Le cap des 2 000 morts pour l’épidémie de celui qu’il faut désormais appeler Covid-19 (ça fait plus scientifique !) a été franchi hier et avec lui, un triste « effet papillon » asiatique. On pointe du doigt la chute des ventes des TO vers la Chine, la Thaïlande ou le Vietnam, on craint que les croisières ne finissent toutes en quarantaine. Mais on oublie parfois l’impact pour les compagnies aériennes, obligées de suspendre des lignes, condamnées à redéployer au plus vite leurs avions sur d’autres axes. Voilà qui promet embouteillages et nouvelle guerre des prix pour le printemps, voire l’été, notamment vers les Amériques…
Le transport aérien n’avait pas besoin de cela. L’an dernier, 23 compagnies sont mortes au combat, pénalisées par un cours du kérosène qui évolue désormais au rythme des tweets d’un Trump autoproclamé roi du monde et par des low cost qui naviguent sans radar. Qui peut m’expliquer la stratégie de Level, qui ouvre en grande pompe un Paris/Las Vegas pour annoncer sa fermeture quelques semaines plus tard ? Certes, une bonne partie de ces transporteurs étaient inconnus des agences (Air Philip en Corée du Sud ou Asian Express Airline au Tadjikistan). Mais plusieurs volaient au départ de France : la slovène Adria Airways, la britannique Flybmi ou l’indienne Jet Airways. Sans oublier nos chères Aigle Azur et XL Airways. A qui le tour ?
Les compagnies américaines tiennent le cap, les européennes à la peine
A l’heure où les bilans annuels font monter ou chuter les cours de bourse, une étude de l’OACI estime que la crise sanitaire devrait entraîner une baisse de revenus de 4 à 5 milliards de dollars. Les compagnies asiatiques ou celles déjà fragilisées sont en première ligne, mais pas seulement. Air France-KLM, qui a mis le turbo sur la Chine depuis quelques années au point d’ouvrir son capital à la compagnie China Eastern, est également très exposée. On en saura plus demain, avec l’annonce des résultats 2019 et surtout, les perspectives pour l’année.
Pour mémoire, avec 400 millions d’euros de bénéfices en 2018, le groupe franco-néerlandais pointait déjà parmi les moins bons élèves, faisant autant de profits qu’easyJet dont le chiffre d’affaires est pourtant quatre fois moindre. Pas de quoi faire sauter les bouchons ! D’autant que sur le premier semestre 2019 (traditionnellement le plus mauvais de l’année), les pertes se sont creusées, à -240 M€... et qu’Air France n’en a toujours pas fini avec ses démons, comme le rappelle les nouvelles grèves annoncées pour la fin de semaine…
Quel contraste avec les compagnies américaines ! Les bénéfices de Delta, United et American Airlines se sont encore envolés en 2019, respectivement de 21%, 41% et 19%. On les avait enterrées au tournant du siècle. Toutes placées sous le Chapitre 11 (un statut proche de notre redressement judiciaire, en plus avantageux !), elles ont pu se réorganiser et fusionner pour lutter contre une mortelle guerre des prix avec les low cost — avec la bénédiction d’un Etat prêt à transiger avec les règles du libéralisme lorsqu’il s’agit de protéger ses entreprises ! Aujourd’hui, les transporteurs états-uniens pèsent 65% des bénéfices de la profession, un joli pied de nez…